Il y a plusieurs mois, pendant que j’étais en dédicace dans un salon, je me suis baladée à la recherche d’ouvrages avec des personnages afrodescendants, comme j’en ai l’habitude de faire.
Si l’on se limite aux couvertures, on pourrait se dire, effectivement, il y a plus de livres avec des personnages noirs qu’il y a quelques années. Mais justement, cette diversité se limite souvent à la couverture : on retrouve encore en majorité des histoires stéréotypées, des traductions de livres anglophones (souvent consacrés à des figures historiques des Droits civiques, parce que le racisme, c’est un truc américain, vous le savez bien), et enfin une nouvelle tendance : les Noirs des couvertures !
Derrière cette appellation réductrice, se cache un nouvel argument de vente : tu vois un personnage noir (ou issu d’une autre communauté minorisée), tu te dis “oh, super, il doit être le personnage principal !”, tu feuillettes le livre, et tu te rends compte qu’il n’y a pas d’histoire. C’est souvent un poème, avec des enfants différents illustrés à chaque page, peut-être des paysages, et une petite morale mignonne à la fin, en faveur de l’universel.
Quel mal me direz-vous ? Les enfants sont tous à la même enseigne dans ce type d’ouvrage. On pourrait même se dire que sa présence en couverture participe à rappeler que les enfants noirs sont aussi des visages de l’universel. Y a rien de mal en soit, ce n’est qu’un livre… Enfin plutôt dix. Enfin, non, plutôt cinquante du genre. Il est donc plus facile de trouver des livres où des enfants noirs sont uniquement en couverture, que des livres où ils sont de véritables personnages, c’est-à-dire les héros d’une intrigue. Où ils sont acteurs dans cet imaginaire.
Or, cette “inclusion” ou “diversité” de surface a un nom : le tokenisme.
Le tokénisme est la politique ou la pratique consistant à faire un geste superficiel pour l’inclusion des membres des groupes minoritaires. Cet effort symbolique est généralement destiné à créer une apparence d’inclusivité et à détourner les accusations de discrimination.
source : mikana.ca
Je n’ai pas cherché de chiffres sur le nombre de livres se prêtant à ce jeu marketing, et pour être honnête, ça ne m’intéresse pas vraiment. Ce qui m’intéresse, c’est : pourquoi la présence des Noirs est uniquement acceptable sur les couvertures, mais pas quand ils sont les héros d’une intrigue à part entière ? Dans ce second cas, ils sont tout à coup “pas bankables”.
Pourquoi ces livres token, majoritairement écrits par des auteurs blancs, sont publiés pendant que des auteurs noirs se voient refusés leurs manuscrits aux motifs que “trop noirs/ trop communautaristes/ça ne vend pas les personnages noirs” ?
Encore aujourd’hui, nombreux sont les auteur.ice.s noir.e.s qui me racontent leurs déboires avec l’édition, entre les motifs de refus fumeux ou ouvertement racistes, quand ce n’est pas le silence habituel. Il y a aussi les maisons d’édition qui refusent ces mêmes auteurs, puis réapparaissent quand ces derniers ont pris à leur charge l’édition de leurs manuscrits. Il semblerait donc que la prise de risque qu’implique la publication d’un primo-auteur est d’autant plus grande que sa mélanine est élevée….
Du coup, si je comprends bien, il serait plus “risqué” de nous laisser partager nos imaginaires et nos voix, que de prendre nos corps pour des couvertures…
Alors, je me suis demandée si ce n’était qu’une impression, mais force est de constater que ce phénomène est également dénoncé outre-manche et outre-atlantique par des professionnels du livre comme Renee Holderman, en charge de l’achat des droits de publication pour la maison d’édition Third Place Books :
“De plus, les éditeurs mettront un enfant noir sur la couverture d’un livre pour enfants générique non caractérisé, souvent illustré par un illustrateur blanc, dans un effort de complaisance. Cette pratique est particulièrement répandue dans les catégories des livres illustrés, gradués et des premiers chapitres.”
Bien sûr, ce n’est pas le seul exemple de tokenisme en littérature, et les formes sont diverses. Je vous parlais par exemple du désintérêt des éditions américaines pour la représentation des communautés noires et l’antiracisme. L’effet de cette tendance avait été chiffrée entre l’année du meurtre de George Floyd, un homme afro-américain assassiné par la police, et l’année suivante où la publication d’oeuvres ayant des personnages afrodescendants écrits par des auteur.ice.s concerné.e.s avait chuté.
La solution ? Être vigilant.e
Heureusement, il existe de nombreuses ressources, notamment compilées dans l’article de Monfilsenrose.com, “Comment diversifier sa bibliothèque ?” qui explique pas à pas une manière d’éviter ces écueils. Vous l’aurez compris : interroger “la diversité” en littérature jeunesse, c’est encore et toujours questionner qui a accès à la création et à la publication, qui est silencié, quelles sont les histoires qu’on empêche d’être racontées, et surtout…
Qui et quelle littérature on soutient en achetant ce livre ?
One thought on “Une Diversité sous couverture(s) : une autre forme de tokenisme en littérature jeunesse”