Couvertures françaises : les personnages effacés

Qu’est-ce que ces couvertures ont en commun ? Ces derniers jours, c’est une énième couverture qui a fait le tour des RS : un livre US qui a vu son héroïne racisée disparaître dans sa traduction française. Encore une fois. J’avais abordé l’utilisation des personnes – voire des corps – racisé.e.s qui n’avaient aucune histoire ou agentivité dans le post ci-dessous… Mais qu’en est-il de faire disparaître des personnages racisés des couvertures, quand ils sont au coeur de l’histoire ?

On pourrait croire que la question de l’effacement de ces personnages ne se pose pas aux USA, mais sans surprise, c’est faux. En 2018, l’association We need diverse books dénonçait dans un rapport les disparités entre les couvertures montrant des personnages blancs, et celles montrant des personnages non-blancs :

“Après avoir analysé et compilé des données sur 1 400 couvertures de livres (vous pouvez lire le rapport dans son intégralité ici), Kimura a pu montrer qu’en 2018, « les individus blancs sur les couvertures YA représentaient un peu plus de 60 % de toutes les couvertures individuelles. alors que toutes les représentations explicites des personnes racisées combinées n’atteignaient même pas 20 %.”

S’il y a une amélioration progressive du nombre de couvertures ayant des personnes racisées, une partie est néanmoins limitée à la reproduction de “codes”, désignés comme tendances. En effet, un roman sur la ségrégation raciale aux US aura par exemple souvent les mêmes références iconographiques – photo en noir et blanc, émeutes, personnes noires en manifestation, etc -, afin d’être identifiables auprès du lectorat, dans son genre littéraire et son contenu. Mais pourquoi ce créneau empêcherait de chercher une proposition graphique différente et originale ? L’article “The Hidden Racism of Book Cover Design”, publié en novembre dernier, explique que la réponse se trouve dans les équipes marketing :

“Le problème des couvertures stéréopées peut émerger, en partie, de l’idée de savoir à qui elles sont censées être lisibles.

L’industrie, attestent l’étude “Has the DEI Backlash Come for Publishing?” de Dan Sinykin and Richard Jean So, a une conception étroite de son marché cible. La plupart des décisions s’adressent en grande partie aux femmes blanches âgées de trente-cinq à soixante ans, avec peu d’efforts faits pour développer un lectorat au-delà de cette tranche.

Il s’ensuit que ce groupe est aussi le consommateur imaginé dont les goûts putatifs façonnent le produit. « Les femmes blanches cis entre trente-cinq et soixante ans » sont également une description précise de la majorité des travailleurs de l’industrie, y compris les éditeurs. Si un livre orné d’images racistes réductrices a été englouti par le public cible dans le passé, les éditeurs seront motivés à recommencer. L’objectif est la viabilité commerciale : « En mélangeant (littéralement) tout un groupe d’auteurs avec des formes lumineuses et souvent dénuées de sens, écrit Miles Klee dans l’Observer à propos de la « couverture de livre blobby », « les grands éditeurs de livres espèrent maintenir une cohérence financière à travers une cohérence esthétique. »

L’article poursuit avec les témoignags d’auteur.ice.s racisé.e.s sur les échanges qu’ils ont avec l’équipe éditoriale et marketing, quand le brief de leurs couvertures reprennent des clichés. En somme, l’imagerie raciste et coloniale vend parce qu’elle racole avec l’imaginaire raciste de de la société, et donc de ses lecteur.ice.s… On a donc une production de couvertures diversifiées anglophones déjà limitées, qui se retrouvent encore plus effacées à leur arrivée en France.

Certaines couvertures FR ont “retrouvé” leurs personnages racisés, grâce à la mobilisation de lecteur.ice.s sur les réseaux sociaux, dénonçant ces pratiques d’effacement et/ou de whitewashing. Mais il est important de s’interroger sur le caractère systémique du racisme et de la xénophobie dans cette industrie, en parallèle des discriminations qui surviennent dans l’accès à la publication.

Face à ces réalités, de plus en plus de professionnel.le.s et d’auteur.ice.s engagé.e.s se mobilisent pour penser un marketing du livre réellement inclusif. Mais ce sont les achats des lecteur.ice.s qui peuvent permettre de forger une littérature plus représentative.

Sources :

“Smile for the cover: A look at People of Color on YA book cover art“

Has the DEI Backlash Come for Publishing?

A new study reveals positive changes since 2020. But can they last?

By Dan Sinykin and Richard Jean So

The Hidden Racism of Book Cover Design

The publishing industry’s troubling reliance on visual stereotypes

by Tajja Isen

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