Le racisme et la santé mentale

Ce post à la restitution de mes réfléxions à l’occasion de la table ronde Le racisme et la santé mentale, organisée par le podcast Encore heureux.

Avant de lire celui-ci, je vous recommande de lire d’abord :

C’est bon ? Alors, c’est parti !

Ecouter sa douleur : un acte radical de préservation

J’ai été marquée par cette interview d’Alice Walker, qui fait mention de sa crise cardiaque survenue alors qu’elle préparait son départ en Palestine, et de sa réfléxion sur l’équilibre entre engagement et la santé mentale : ““We must move people without killing ourselves.” Loin d’appeler à l’immobilisme, elle questionne aussi la responsabilité des USA sur les génocides de plusieurs pays et la question de son agentivité dans une révolution et au sein de la communauté. L’échange se poursuit sur l’importance du partage et la solidarité, comme démarche politique.

Cet échange souligne pour moi, encore, la nécessité de penser une politique du soin communautaire, d’avoir un tissu d’entraide. Il y a des tas de discours légitimant notre abandon d’une politique du soin communautaire :

  • “De toute facon, il y a et aura toujours du racisme” : le pessimisme face aux oppressions permet une banalisation des violences subies, et donc un abandon, voire une absence de nécessité quant au fait de se soigner et se préserver
  • “Avoir accès au soin est un privilège” : si ce point est vrai à plusieurs égards, il masque la notion de “prendre soin”, qui souligne la notion de prendre acte quant à la nécessité de penser et concevoir une politique de soin communautaire, qui ne dépendrait pas uniquement des conditions matérielles. Garder les enfants de quelqu’un pour dépanner, faire des plats pour quelqu’un afin qu’il n’ait pas à cuisiner, faciliter par l’entraide afin que nos vies ne soient pas contraintes à la survie, sont autant d’exemples de lutter contre des systèmes mortifères. Le community care est une des réponses à cela.

Nécro-politique : le système veut la mort

Parce qu’il est plus facile de concevoir un système de dominations qui nous veut en vie pour le servir, on oublie – probablement pour notre sanité d’esprit – que celui-ci n’a pas peur de nous tuer. C’est ce que désigne le concept de “nécropolitique”, théorisé par Achille Mbembe :

“Cet essai fait l’hypothèse que l’expression ultime de la souveraineté réside largement dans le pouvoir et la capacité de dire qui pourra vivre et qui doit mourir [2][2]Cet essai se distancie des considérations traditionnelles sur…. Faire mourir ou laisser vivre constituent donc les limites de la souveraineté, ses principaux attributs. Être souverain c’est exercer son contrôle sur la mortalité et définir la vie comme le déploiement et la manifestation du pouvoir.”C’est là un résumé de ce que Michel Foucault entendait par biopouvoir, ce domaine de la vie sur lequel le pouvoir a établi son contrôle [3][3]M. Foucault, Il faut défendre la société…, op. cit., p. 213-234.

(…)Que la race (ou, ici, le racisme) ait une place si importante dans la rationalité propre au biopouvoir est aisé à comprendre. Après tout, davantage que la pensée en termes de classes sociales (l’idéologie qui définit l’histoire comme une lutte économique de classes), la race a constitué l’ombre toujours présente sur la pensée et la pratique politiques occidentales, surtout lorsqu’il s’agit d’imaginer l’inhumanité des peuples étrangers et la domination à exercer sur eux. Arendt, faisant référence à la fois à cette présence de tous temps et au caractère fantomatique du monde de la race en général, situe leurs racines dans l’expérience éprouvante de l’altérité et suggère que la politique de la race est en dernière instance liée à la politique de la mort [6][6]« Race is, politically speaking, not the beginning of humanity…. Le racisme est, dans les termes de Foucault, avant tout une technologie visant à permettre l’exercice du biopouvoir, « ce vieux droit souverain de tuer [7][7]M. Foucault, Il faut défendre la société, op. cit., p. 214. ». Dans l’économie du biopouvoir, la fonction du racisme est de réguler la distribution de la mort et de rendre possible les fonctions meurtrières de l’État. C’est, dit-il, « la condition d’acceptabilité de la mise à mort[8][8]Ibid., p. 228. ».

source

Parmi l’expression de ces nécropolitiques, je pense qu’on peut notamment citer:

  • la cagnotte dédiée au meurtrier du jeune Nahel comme l’expression de cette acceptabilité par l’opinion publique : l’organisation d’un groupe déterminé à soutenir l’acte de mort, la compensation financière avant même que la justice soit rendue, l’écart gigantesque entre la somme réunie, quand les cagnottes des familles de victimes de violences policières n’ont jamais atteint de telles sommes… Tous ces éléments disent quelque chose, dans une société cristallisée par l’idéologie d’extrême droite.
  • l’apathie internationale face à de nombreux génocides comme ceux de la RDC, de la Palestine, ou du Soudan, pour ne citer qu’eux.

Sur Instagram, l’autrice Diaty Diallo parlait de nécro-anxiété, la peur de mourir au sein d’un système nécropolitique, et surtout de la manière dont cette peur conditionne le rapport à l’avenir. Je vous conseille vivement de lire son post sur l’impact de la nécro-anxiété sur les jeunes, du désinvestissement ou pessimisme qu’ils suscitent, et potentiellement du désengagement.

Sortir de la violence : quels espaces pour guérir et se soigner ?

Dans cet article qui recense certains moyens de se préserver, je faisais référence à The Nap ministry, et en discutant avec Camille Teste (Podcast Encore Heureux), je lui disais que je trouve parlant que cet essai ne soit pas encore traduit en France, malgré ses ventes aux US.

Pour aller plus loin :

  • La charge raciale, de Douce Dibondo
  • Pour une résistance oisive, Jenny Odell
  • Pour une société du care, Evelyn Nakano Glenn

Sources :

Talking With Alice Walker on Palestine

https://edition.cnn.com/2011/OPINION/06/21/alice.walker.gaza/index.html

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