Utopie et afroféminisme : réfléxions en temps de crise

Image couverture : Nyum elicubris, par l’artiste Son Gweha (anciennement Anna Tjé)

Les reportages sur la guerre en Ukraine, les compilations des discours xénophobes et négrophobes tenus par les journalistes et “experts”, les débats désorgannisés, l’approche imminente des élections, s’ajoutant aux faits divers violents quotidiens…

Cette cacophonie a amené plusieurs d’entre nous à ne pas se tenir au courant, à ne pas regarder les infos, à ne pas en parler avec l’entourage… Avec ça, il y a souvent cette même culpabilité : celle de ne pas prendre la parole, de ne pas faire/assez…. J’ai parfois l’impression que cette culpabilité résulte d’une image idéalisée de l’engagement : un engagement qui serait sans faille, immuable, peu importe le contexte ou l’état de nos ressources physiques et mentales.

Cette focalisation sur la forme de l’engagement politique passerait forcément par des preuves performatives (montrer qu’on prend position sur les réseaux sociaux, poster le tweet au bon moment, relayer toutes les cagnottes…), avec tout ce que l’on sait de l’esthétisation de la prise de parole sur les réseaux sociaux.

Or, nos engagements ne gagneraient-ils pas à être pensés de manière plus réalistes ?

Par exemple, je veux pouvoir donner mon temps et mon énergie le plus longtemps possible à telles causes, que dois-je mettre en place pour que ça arrive ? La réponse à cette question va dépendre de ma situation personnelle, de mon évolution et du contexte dans lequel je me trouve.

Toutefois, cet exercice est plus compliqué, voir impossible, quand on ne s’entend même plus penser.

Loin de moi l’envie de prétendre qu’il est inutile de se questionner sur sa manière de soutenir des causes ou de militer, je pense juste qu’il est facile de tomber dans l’écueil de s’en vouloir, au lieu de pointer les différents éléments ayant contribué à ce que notre cerveau fume et à ce que notre sensibilité soit vidée ou trop éprouvée. Et ça, ça passe par le fait de nommer les circonstances environnantes.

1. L’abandon organisé et le fascisme du désespoir

Dans son essai “Et maintenant le pouvoir” (oui, j’ai pas fini de vous en parler, vous allez rien faire), Fania Noël explique qu’il y a, en plus de la couverture médiatique, deux phénomènes dans le contexte actuel qui contribuent à un désemparement collectif.

“L’abandon organisé est un concept de Ruth Wilson Gilmore qui permet de saisir le désinvestissement de l’État dans les structures qui permettent de garantir une vie digne en matière de logement, d’éducation, d’accès aux ressources et à la santé, au profit d’un investissement massif dans les structures mortifères et violentes telles que l’armée, la prison, la surveillance de masse et la police.”

“Cet abandon organisé va de pair avec la restriction de nos horizons politiques, de nos imaginaires, nous laissant sans défense, physiquement comme émotionnellement, contre la violence du système et de l’État. (…)

C’est cet état de désemparement et de mobilisation que W.E.B. Du Bois a nommé très justement en 1938 “le fascisme du désespoir”, mettant en avant comment, dans ce contexte, les forces réactionnaires sont les plus actives et les plus promptes à proposer des solutions.”

Fania Noël poursuit avec la nécessité de penser et pratiquer l’utopie, en trouvant le temps et les espaces pour la penser et organiser collectivement des horizons politiques.

Mais peut-on penser l’utopie, penser à demain, quand on est dépassé et submergé par le présent ?

2. Faut-il s’en vouloir de se réfugier dans l’imaginaire ou notre quotidien ?

Je pense surtout qu’il faut être à l’écoute de soi et de ses forces. Notre désir de nous engager et de nous impliquer est indissociable de notre bien-être qui puisse nous mettre en capacité de tenir et de créer. Il est donc important de ne pas tomber dans l’écueil de la culpabilité, mais bien de prendre du recul pour mieux évaluer nos capacités individuelles pour aider le collectif.Même penser l’utopie et les horizons politiques pour lesquels on se bat nécessitent qu’on reprenne notre souffle, ou que l’on s’adapte pour survivre. C’est aussi l’occasion de repenser sa place dans le collectif, de questionner sa place de maillon, en donnant de la force à ceux qui en ont quand on en a beaucoup moins; de puiser dans la parole de celleux qui y ont réfléchi avant nous, etc.

C’est notamment ce qui m’a conduit à aller lire d’autres afroféministes sur leur conception de l’utopie, que je vous laisse ici, en espérant qu’elles vous inspireront.

3. Utopie et afroféminisme : quels horizons ?

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