Rencontres avec Ta-Nehisi Coates, et Josette Spartacus: nommer la pluralité des douleurs noires

Hey folks !

Si tu n’étais pas à la conférence sur l’afroféminisme, peut-être s’est-on croisé au musée Dapper pour la venue de Ta-Nehisi Coates, ce samedi dernier ? En effet, à l’occasion de l’édition française, Ta Nehisi Coates nous a rendu visite pour nous parler de son livre mais surtout de ce qui l’a amené à l’écrire.

“To be black [nowadays] is the result of decisions that have been taken a long ago” Ta-Nehisi Coates.

J’ai beaucoup apprécié l’humilité de Ta-Nehisi Coates, craignant, je l’avoue, l’habituel discours de “ce que pense tel intellectuel noir américain de la situation en France” avec une pointe d’entitlement. A vrai dire, certaines de mes amies et moi avions la même appréhension, mais Ta-Nehisi a plusieurs fois souligné que son propos s’applique aux USA et à ce qu’il retient de son expérience d’afro-américain et qu’il ignorait si ce vécu s’appliquait à d’autres communautés noires. Il a parlé des thèmes abordés de son roman, de la transmission, de la paternité, de la suprématie blanche, de son père, membre des Black Panthers, et de la manière dont les USA ne seraient pas ce qu’ils sont s’il n’y avait pas eu les esclaves noirs, littéralement. Je n’ai pas pu m’empêcher de me dire que si une personne racisée disait la même chose par rapport à l’esclavage et au colonialisme, elle se ferait huer littéralement – excepté, peut-être, par les concerné.e.s. Il y avait d’ailleurs beaucoup d’afro-américains présents, et côté française, le public était assez mixte.

“There was no Jesus at home, only Malcolm X (…). Struggle was my religion.”

J’ai également aimé sa lucidité incisive car, contrairement à beaucoup de mouvements ou de penseurs noirs, Ta-Nehisi Coates se situe dans “le clan des Pessimistes”: “Je ne peux pas dire à mon fils que tout irait bien”. Pour lui,l’espoir est quelque chose de noble mais pas nécessairement d’utile, c’est pourquoi il préfère s’attacher à la lutte : “ne luttes pas parce que tu vas gagner, mais parce que d’autres l’ont fait avant toi et jusqu’ici”. De même, il a critiqué cette mythologie du “les esclaves sont morts pour nous”, comme cette image de sacrifices qui composent les briques d’un long chemin jusqu’à nous. Pour lui, ce type de métaphore efface l’individualité des esclaves et de leurs souffrances : “ils étaient des individus, avec des familles, des amis et on les a tués. Ce sont des meurtres, ça n’a rien à voir avec des sacrifices pour les descendants”.

RENCONTRE AVEC TA-NEHISI COATES

Je ne m’attarderai pas trop sur les questions posées par la journaliste du Point – argh – qui étaient très creuses, mais davantage ce qui est ressorti des réponses de l’auteur et de son échange avec le public ! Le public était en tout cas très réceptif et actif ! Certaines interventions ont été applaudies comme celle de Maboula Soumahoro qui a interrogé Coates sur la manière dont traduction française de son livre trahissait le propos (rappelons que son livre Between The World and Me est traduit Une colère noire *tousse*) et ce que cela révélait de la France. ENCORE BRAVO ! J’ai applaudi à m’en faire mal aux mains, même si la réponse de Coates s’est vue timide devant la présence de son éditrice au premier rang *rire*. Il a précisé qu’il n’avait pas eu son mot à dire mais qu’il le comprend car qui mieux qu’un éditeur français peut savoir comment marketer un livre auprès du public français ? Mmmh, fair enough, Ta-Nehisi, beau rattrapage même si nous ne sommes pas dupes.

“The world is what it is, and we have to figure out how we live within”

Deux questions m’ont fait néanmoins tiquer…

QUEWA ? tu n’as pas bu ses paroles comme de la liqueur de coco, Mrs Roots ? Eh bien, non. D’abord, remercions la femme noire qui est à l’origine de cette question : elle l’a interrogé sur le privilège des Afro-américains à l’étranger, et qui bénéficiaient donc de traitements différenciés, puisque le livre de Coates parle surtout de pouvoir. La question était légitime et Coates y a répondu, toujours avec humilité, sur le fait qu’il n’était pas aveugle aux avantages dont il bénéficie en tant qu’intellectuel afro-américain en France. Néanmoins, petit cafouillage quand il a dit que bénéficier de ce type de privilège était le propre d’un peu tout le monde, en comparant sa situation aux Nigérians allant aux USA et faisant carrière. Nope. Nope, nope, nope. J’étais un peu refroidie que dans une conversation sur le pouvoir, on ignore les rapports de force entre les communautés afros, car on ne peut décemment pas mettre sur le même pied un passeport nigérian et un passeport américain, comme on ne peut pas faire de même avec un passeport français et un passeport sénégalais, par exemple. Aussi, la température a encore baissé quand il a dit que ce type de privilège est plus le fait des Français qui le traitent différemment par rapport à un Français noir, et que ce n’était pas de son fait. Là encore, dans une conversation où l’on parle pouvoir et suprématie blanche, j’espérais qu’il y ait cette même analyse systémique pour ce type de privilège occidental. Néanmoins, il a reconnu qu’il ne maîtrisait pas trop la question, qu’il était en plein apprentissage – puisqu’il est à Paris pour un an – car il lui faudrait plusieurs années pour comprendre les tenants et aboutissants de la situation d’autres pays comme la France, et a insisté sur le fait qu’il fallait être conscient de ces privilèges. Bon.

Le second point, c’est lorsqu’il a été relevé par une personne du public que “l’esclavage ne s’est pas vraiment passé en France”, c’est-à-dire qu’il n’y a pas eu de plantations en métropole. Coates a souligné que, sans pour autant minimiser l’esclavage en France, il n’est pas incorrect de relever cette différence géographique, compte tenu d’un esclavage qui s’est principalement passé dans les DOM TOM. Si je suis d’accord sur ce point, cela m’a fait quand même réfléchir, car cette distanciation des DOM-TOm comme “ces territoires loin là-bas, pas très proches de nous” m’inquiètent.

Je ne savais pas trop pourquoi jusqu’à ce que je rencontre, le lendemain, Josette Spartacus, auteure de la thèse Stratégies de Survie que j’annonçais ici. A travers une étude comparative entre des romans de Toni Morrison, Edwige Danticat, et Jamaica Kincaid, Spartacus questionne les stratégies de survie mises en place par les héroïnes de ces livres, des femmes noires, et leur rapport à la violence, la résistance, la mort et l’espoir. J’ai donc eu la chance de passer un après-midi avec cette femme brillante, et je lui ai fait part de mes réflexions après la rencontre avec Ta-Nehisi :j’avais ce sentiment qu’à force d’avoir été surexposée à une culture afro-américaine dans un pays qui refusent d’acter les résistances des peuples antillais durant l’esclavage et des peuples africains durant le colonialisme, on finissait par s’approprier davantage une douleur historique afro-américaine aux dépends de celles qui touchent la France. Pourtant, ce que Spartacus nomme les douleurs noires devraient cohabiter et non se réduire à un rapport de force comme c’est le cas aujourd’hui. Cela s’explique malheureusement par l’absence de témoignages d’esclaves antillais, et donc à l’entretien difficile d’une mémoire antillaise dans un large continuun de la diaspora.

Au terme de cet après-midi de Saint-Valentin au milieu des livres et des récits de femmes antillaises, j’ai été reconnaissante finalement d’avoir pu outrepasser ce vague à l’âme avec la conviction que la visibilité des voix afros ne suffirait pas si l’on ne s’oblige pas à en recouvrir toute la diversité.

Prochainement, je reviens avec la review de Between The World and Me !

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