Corps noir: la chair à canon du white gaze”artistique”

TW: beaucoup d’images violentes et choquantes paraissent dans cet article.

En moins de 2 ans, on a donc eu droit à cette galerie des horreurs :

Exhibit B at the Barbican, London, September 2014

 

Zoo humain – Exhibit B, l’oeuvre de Brett Bailey qui voulait dénoncer l’esclavage sans les esclavagistes en se servant de comédiens noirs sous-payés, et représentés enchaînés. On se souviendra du profond mépris de la presse et de la violence policière à l’égard des communautés noires qui ont manifesté contre ce zoo humain. Tous les articles du blog se référant à Exhibit B et à la place du corps noir, sont ici.

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Imitation du massacre de Kibého pour la présentation de la collection Yeezy 3, par Vanessa Beecroft.

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La même artiste avait déjà offert l’oeuvre “Darfur War” avec l’illustration du massacre au Darfour… en prenant des personnes blancs qui ont utilisé le black face pour représenter les corps noirs.

Et aujourd’hui, en France, je découvre que le Tarmac perpétue la tradition avec une nouvelle pièce appelée Africa, où le blackface sert le récit d’un dirigeant d’une plantation au Kenya. Commentaire de la presse ? “Saisissant”.

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Black body et poverty porn : le corps noir n’est pas un pinceau.

Comme vu plus haut, le corps noir est utilisé comme un medium :

  • dans le premier cas, il sert de support pour raviver une mémoire tronquée – puisque Bailey a catégoriquement effacé la présence des blancs (se référer aux posts du blog qui a longuement été abordé).
  • dans le deuxième cas, il sert de support pour raviver la mémoire d’un peuple africain (les Rwandais) à des fins commerciales et promotionnelles (le buzz) pour la Fashion Week.
  • dans le troisième cas, il sert de support pour un imaginaire collectif et occidental où le corps noir peut être suppléé par le blackface – en toute souplesse.
  • dans le quatrième cas, il sert de support à la mémoire néocolonial d’un homme occidental.

Dans tous les cas exposés, le corps noir devient une performance, une espèce de coquille vide que l’on peut remplir à sa guise de récits dominants. Il devient l’exutoire d’artistes blancs, à destination d’un public blanc. Historiquement et politiquement, il est raciste de perpétrer cette tradition déshumanisante; où le corps noir n’est que support, ou outil, et de le faire subir toutes les pérégrinations artistiques du white gaze. Le racisme est notamment dans cette éternelle passivité soit attribuée au corps noir, soit dans son absence supplée par le blackface.

En somme, ce qui est reste du corps noir est un simulâcre désincarné, jouant un rôle impersonnel dans un récit global où les corps noirs morts sont surexposés dans les médias, et où cela ne gêne personne. Ce grand récit, c’est le Poverty porn, défini comme:

“Poverty-Porn is the tactic of media and charities that uses sympathy as a catalyst for monetary gain, exploiting the poor and uneducated, to showcase desperate conditions for an emotional response. And while the tactic may be effective at heightening profits—by misrepresenting an entire continent as slum—the fate of an entire continent is stamped with pity.”

“Le Poverty-porn est une tactique des médias et des oeuvres de charité qui utilise la sympathie comme le catalyseur pour lever des fonds, exploitant ainsi l’individu pauvre et non-éduqué afin de mettre en avant des conditions désespérées pour provoquer une réponse émotionnelle”  source

Congo, Soudan, mais aussi Haïti… Cette tactique ne se limite donc pas à la presse mais est bien utilisé dans le domaine artistique. Il est irresponsable et raciste, en tant qu’artistes, de nourrir ce poverty porn afin d’en tirer profit, sous couvert de “dénonciation” qui n’inclut – comme par hasard – jamais leurs propres privilèges. Dans le cas du Tarmac, c’est d’autant plus choquant de voir cette oeuvre alors que plusieurs comédiens racisés rendent visible les oppressions qu’ils subissent dans ce milieu.

Le corps noir: notre corps, notre histoire.

La dénonciation du Poverty Porn avait déjà soulevé une grande mobilisation sur les réseaux sociaux via le HT  par les internautes africains. Mais plusieurs artistes noirs questionnent encore la réappropriation du corps noir dans l’espace artistique, comme Ayanna V. Jackson.

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Ayana V Jackson questionne la place du corps noir, dans cet entre deux entre les communautés qu’il représente et le regard occidental du spectateur, dénonçant ainsi la surabondance du poverty-porn dans les médias:

“It also delves into what she says is “the over-representation of death, disaster, disease and destruction” of the non-Western world in the media.

(…) She told me how she hopes her art will change perceptions of the past. “I want this body of work to shift views from ‘Oh, this is what Africans looked like in the pages of National Geographic’ to ‘Oh, this is what the Europeans’ idea of blackness was’.

[le Poverty-porn] implique aussi ce qu’elle dit être “la surreprésentation de la mort, du désastre, de la maladie et de la destruction”du monde non-occidental dans les médias.

(…) Elle m’a dit comment elle espère que son art changera les perceptions du passé.”Je veux que ce corps médium fasse basculer les perceptions de “Oh, c’est ce à quoi les Africains ressemblent dans les pages du National Geographic”à”Oh, c’est dont l’idée que les Européens se faisaient de la négritude”source

Dans cette réappropriation du corps noir, il n’y a donc pas de place pour les artistes incapables de remettre en question leur blanchité et le rôle qu’ils jouent dans un système raciste, ni pour l’individu qui choisit de justifier ses actes par de bons sentiments  sans aucune visée critique, alors ces mêmes sentiments consolident une tactique médiatique vieille de plusieurs années..

 

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