Sans surprise, la première partie de cette série a suscité beaucoup de témoignages – guuurls, I see youuu – , mais aussi d’interrogations quant au sujet choisi. Va-t-on parler de christianisme ? est-ce que c’est pas un peu perché ? n’y a-t-il pas des thèmes “plus importants” *?
*(c’est pas comme s’il n’y avait pas plus de 200 articles ici, mais nous nous savons…)
Ce à quoi je répondrais : au pire, vous n’êtes pas obligé.e de lire cet article, si ? ; patience ! On y arrive !
1. Spiritualité et féminisme, une conversation en Occident
Si l’on prend la définition du Larousse, on trouve pour le mot “spiritualité” ceci :
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- Littéraire. Qualité de ce qui est esprit, de ce qui est dégagé de toute matérialité : La spiritualité de l’âme, de la poésie.
- Ce qui concerne la doctrine ou la vie centrée sur Dieu et les choses spirituelles.
“(…) l’initiative provient largement des pays anglophones, dont la langue semble dominer ces sphères d’influence, cette recrudescence fascinante n’est pas sans lien également avec la volonté queer et féministe de « s’empouvoirer ». Car en effet, la sorcière est aussi politique : elle apparaît comme le symbole adéquat de la marginalité qui dérange (voire dégenre, puisque « witch », contrairement à ce que l’on peut penser de prime abord, est un terme à genre neutre), en tant que figure liminale et troublante qui va donc questionner les normes, périphéries et structures d’un système.”
Même si les références convoquées par ces réflexions féministes étaient principalement européennes ou occidentales – à l’exception, peut-être, de Tituba – j’étais curieuse de voir comment cela se traduisait “concrètement”/au quotidien pour les femmes d’aujourd’hui. C’est à ce moment là que je suis tombée par hasard sur l’intriguant essai intitulé Féminisme Divinatoire, de Camille Ducellier. Dans son livre qui se veut ludique et déjantée, Ducellier introduit son guide avec la définition suivante :
“Le féminisme divinatoire est un lieu de passage pour celles qui inventent leurs propres lois; pourcelles qui développent une sensibilité hors des normes sociales ainsi que celles qui souhaitent profondément l’explosion de tout ordre établi.
Le féminisme divinatoire propose de désenclaver le féminisme radical de son rationalisme et de son absence totale de considération pour lestraditions ésotériques telles que sont l’astrologie, l’alchimie, la magie cérémonielle, les arts divinatoires.”
Dans la pratique, Camille Ducellier offre une liste non-exhaustive de rites qu’une femme peut effectuer au quotidien pour se préserver, loin de proposer un essai sur le mouvement en lui-même. Si ce livre sort de l’ordinaire, je suis un peu restée sur ma faim, probablement parce que j’aurais aimé savoir comment se traduit politiquement dans un cadre collectif cette pratique, en prenant compte des diverses oppressions que connaissent les femmes noires. J’ai donc poursuivi mes recherches, soucieuse de voir comment les féministes noires s’étaient emparées de la question… et je n’ai pas été déçue !
2. Womanism et spiritualité : une pratique en faveur de la communauté
La théologie womaniste est un lieu de découverte, dans la foi, que analyse à la fois la politique et la culture »(p. 46), car elle se rapporte aux expériences de vie des femmes noires. C’est une théorie qui cherche essentiellement à examiner les relations entre la spiritualité, la politique et la culture dans le contexte quotidien de la vie des femmes noires. source
Pour moi, le féminisme, c’était comme trouver une belle chaussure dans une mauvaise taille. Peu importe à quel point j’essayais, cela ne semblait jamais être un ajustement parfait. J’ai trouvé ma taille dans le womanisme. Il existe une hiérarchie race / sexe au sein de notre société qui contraint les intérêts des femmes noires [à être] au plus bas. Le womanism a été créé dans le but de donner la priorité aux intérêts des femmes noires, car de nombreux mouvements nous ont laissés tomber.
- Dans la théorie womaniste :
La spiritualité et la religiosité sont des avantages importants pour les femmes [racisées] qui éprouvent des difficultés pour leur santé et leur bien-être. Les implications pour la prévention, les comportements favorables à la santé et les problèmes de santé sont évidents. L’intersection de la spiritualité ou de la religiosité et de la santé pour les femmes [racisées] peut faire une différence dans leur expérience en matière de santé, en aidant à éliminer les disparités et à promouvoir des résultats positifs pour la santé. source
- Dans la mise en pratique, quelques exemples :
- Dans son mémoire A Knock at Midnight: A Pedagogy of Womanist Spirituality , Valérie Moss explique la manière dont les femmes afro-américaines se réapproprient certaines paraboles et figures féminines de la Bible pour les mettre en parallèle avec leurs difficultés du quotidien (infidélité,violences conjugales, précarité, etc) (p. 111). Ces discussions permettent aux femmes noires fréquentant l’église d’avoir un groupe de soutien entre elles, et d’aborder les violences qu’elles subissent par le biais de ces paraboles ; une manière de verbaliser et de soulager le poids de la réalité.
- En théorisant le womanism, Alice Walker revendique également la nécessité du spirituel dans le mouvement afin d’aborder une éco-justice :
La spiritualité éco-féministe, l’accent mis sur l’interconnexion entre les oppressions subies par les femmes afrodescendantes, et le traitement injuste de la terre deviennent un nouvel aspect du discours théo-éthique par lequel nous sommes amenés à soigner nos propres corps et communautés avec la guérison du corps de la terre.
3. Africana Womanism et spiritualité, une méthodologie théorisée par Clenora Hudson-Weems
- Black Feminism et Womanism : mouvements de lutte des femmes noires s’appliquant au contexte américain.
- Afrofeminisme : mouvement de lutte des femmes noires s’appliquant au(x) contexte(e) européens
(à noter que dans certains pays anglophones, certaines féministes noires utilisent le terme Black Feminism) - Féminisme(s) africain(s) : mouvements de lutte des femmes africaines s’appliquant au(x) contexte(s) du Continent.
C’est une liste non-exhaustive, qui n’ignore pas que ces différents mouvements sont en dialogue et s’inscrivent dans une lutte globale. Néanmoins, le petit nouveau, qui va en faire crier plus d’une (d’horreur ou de joie, au choix)est l’Africana Womanism.
Théorisé par Clenora Hudson-Weems, écrivaine et activiste afro-américaine, l’Africana Womanism se définit comme suit :
“Africana Womanism en tant que concept théorique et méthodologie définit un nouveau paradigme, qui offre une alternative à toutes les formes de féminisme. C’est une terminologie et un concept qui prennent en compte à la fois l’ethnicité (Africana) et le genre (Womanism), que j’ai inventé et défini au milieu des années 1980.
Il a été établi par la suite que le concept n’est ni un développement ni un addendum au féminisme, au féminisme noir, au féminisme africain ou au féminisme de Walker que certaines Africana womanist ont adopté … Il aborde de manière critique la dynamique du conflit féministe, la féministe noire, la féministe africaine et l’africana womanist.“
Pour développer la définition d’Hudson-Weems, la chercheuse Pamela Yaa Asantewa Reed souligne dans son article “AfricanaWomanism and African Feminism” la distinction de ce mouvement, à savoir la revendication d’un héritage afrocentré :
“(…) Il est beaucoup question de la vision du monde africaine et de ses fondements philosophiques, qui révèlent beaucoup d’éléments cosmologiques, épistémologiques et axiologiques; et que Molefi Asante appelle les composants fondamentaux de l’enquête afrocentrique dans Afrocentricity, Kemet et Knowledge.
Car selon la perspective adoptée par Nab dans “African Womanism: An Afrocentric Theory”, analyse le choc des éléments européens et africanologiques.(Reed” Portrait “)(…)Un concept [Africana Womanism] qui a été façonné par le travail de femmes telles que Clenora Hudson-Weems, Ifi Amadiume, Mary E. Modupe Kolawole et d’autres. Le féminisme africain peut être considéré comme fondamental pour le développement continu de la théorie afrocentrique. Le féminisme africain met au premier plan le rôle des mères africaines en tant que leaders dans la lutte pour recouvrer, reconstruire et créer une intégrité culturelle qui adhère aux anciens principes maatiques de la réciprocité, de l’équilibre, de l’harmonie, de la justice, de la justice, de l’ordre, etc. . (p. 535) source
- Dans la théorie
- la réaffirmation de l’auto-définition de soi, de son ethnicité et du Continent. Pour elle, le womanism se concentre sur la féminité, et que le Black feminism privilégie la négritude, sans la rattacher au Continent.
- une renégociation des rapports de force entre les hommes et femmes noirs pour une égalité réelle au sein des mouvements noirs, comme le Black Panther Party ou le Rastafarisme.
“Selon ces groupes sectaires afrocentriques, les arrangements de genre étaient tels que les hommes occupaient un rang supérieur à celui des femmes. Les femmes ne pouvaient être admises et acceptées dans ces groupes sectaires que par un canal masculin. Une fois qu’ils ont intégré le groupe, les femmes ont reçu l’ordre de suivre le rôle de chef de file masculin.
Au sein du BPP, Nation of Gods and Earths et Rastafarism, il y avait des femmes qui étaient jugées productives pour se conformer à un tel cadre social. Les femmes de ces groupes ont utilisé le féminisme africain comme un moyen de se prendre en charge et de négocier leurs positions en tant que personne vénérée mais qui ne constitue pas une menace pour la masculinité. Il était plus important que les femmes de ces groupes restent des initiés en luttant contre le racisme, [plutôt que de devenir] des étrangères en défiant constamment l’ordre des sexes, de manière à ce que les hommes les perçoivent comme une menace. “
Extrait de “I Am Because We Are : Africana Womanism as a Vehicle of Empowerment and Influence” Janiece L. Blackmon
- la prise en compte de la cosmologie africaine comme moyen d’empowerment, car elle conçoit les individus comme “égaux tout en considérant les exceptions de chacun”.
J’attendais cette partie 2 avec impatience. Très intéressante d’ailleurs. Je me questionne justement sur la mise en pratique. Comment concrètement cette spiritualité, quelque soit le mouvement (black feminism, afrofeminisme, african womanism…) se materialise-t-elle ? 🙂
Je prépare la partie 3, mais j’avoue qu’une des mini-déceptions que j’ai, c’est que vu que ces principes sont nés dans un espace académique, on trouve peu d’exemples de réalisation sur le terrain
j’ai beaucoup aimé, même s’il faut que je le relise pour tout intégrer. J’ai apprécié la bibliographie qui m’était inconnue jusqu’alors; Dans la partie 3 j’aimerais voir un résumé des exemples concrets de la spiritualité mis en pratique au quotidien dasns une perspective résiliente (ou pas ), si possible. Bonne journée et merci !
Bonjour,
Je suis Afro-Européenne et mes livres touchent à la connaissance de soi-même.
https://www.lareinedelunivers.com/