Sénégal, elles et moi.

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Petite compte rendu sur mon passage au Sénégal et les femes que j’y ai rencontré.

« Tu n’as pas chaud ?! » Tantie Elsa m’avait regardé de la tête aux pieds ma salopette dès mon arrivée. J’avais quitté Dakar pour quelques jours, et découvrir Keur Moussa, une petite localité où il y a plus de terre ocre et de champs que de maisons. Tantie Elsa  m’y avait montré l’abbaye toute la matinée, et j’avais passé un moment fascinée par les fresques bibliques montrant une Marie et un Jésus noirs comme de l’ébène, avec des motifs rouges vifs. Les moines m’avaient montré qu’au milieu de ce village peu connu, ils faisaient du savon à partir de plantes médicinales, cultivaient des fruits qu’ils séchaient pour les revendre. Contrairement à ma première visite au Congo, je savais d’ores et déjà que je serai une touriste. Apprenant quelques mots en wolof, comparant ce que je connaissais du Congo avec la vie sénégalaise, j’y ai passé un mois à découvrir cet autre quotidien. Ce sont les femmes qui m’intéressaient le plus.

Au retour de la visite de cet abbaye, la femme qui m’accueille a certainement vu mon visage en nage. Ma salopette avait attiré tous les regards. Elle n’attend pas ma réponse pour me passer un pagne. Je me suis changée, un peu embarassée par la manière de nouer le pagne. Mais Tantie Elsa rit avec une certaine bienveillance et me montre comment vraiment le serrer autour de mes grosses hanches. Et puis, elle me parle du Bénin, de ces histoires autour du dieu du tonnerre Xevioso, des précautions qu’il ne fallait pas faire comme prendre un verre qui n’était pas le sien. Et puis un autre jour, elle m’a parlé de l’éducation qu’elle a donné à ses enfants, que c’était dur mais « pas tant que ça », qu’il fallait être sévère pour inculquer le respect des aînés. Qu’on essaie de faire comme il faut. Le regard qu’elle a posé sur mes deux tresses défraîchies fut le préambule d’une longue discussion sur les cheveux avec les femmes que j’ai rencontré par la suite …

« Tu ne lisses pas tes cheveux ? » « Tu veux qu quelqu’un te coiffe ? » « Ah bon, tu te coiffes toute seule ? » Autant de petites phrases bénignes qui m’ont fait comprendre que le cheveu naturel n’était pas la norme, mais plus une option parmi tant d’autres – et peut-être pas des plus populaires. Mais c’est Ashta, une sénégalo-tchadienne, qui m’a expliqué avec véhémence: « les femmes à Paris, ce sont les pires. J’ai vu certaines qui pensent que mettre des touches de wax sur leurs tenues font d’elles des Africaines, c’est n’importe quoi… Elles se jaugent trop entre elles, jamais de compliments, toujours à faire la bouche sur le copain, la tenue, les cheveux de l’autre ! Ici, à Dakar, ma copine peut avoir les cheveux rasés courts, mon autre pote peut être voilée avec ses cheveux naturels, moi je peux avoir un greffage, tout le monde s’en fout. Chacun fait ce qu’il veut, et a son style. Ils peuvent penser ce qu’ils veulent mais personne ne viendra te dire quelque chose ». Quand je lui ai dit que je ne pouvais pas à aller à un entretien d’embauche avec mon afro, elle a ouvert la bouche, estomaquée. « T’es sérieuse ? », je lui ai raconté et j’ai réalisé que, même si elle savait ce qu’était de vivre en France le temps de ses études et que le racisme était bien présent, elle ne savait pas ce que c’était de naître et grandir dans un pays occidental majoritairement blanc. Comme pas mal d’Africains, en fait.

A l’inverse, ce que j’ignorais était un discours afropessimiste assez présent parmi les trentenaires de sa génération. Très véhémente, Ashta est sans appel : « le continent se meurt et aujourd’hui, on ne peut pas dire que c’est entièrement à cause des autres, mais aussi à cause des Africains qui se contentent de ce qu’ils ont. ». Je ne résiste pas à lui dire que ses propos semblent un peu radical. Et puis, quid de la rhétorique du « Retour » des afrodescendants sur le continent ? Quid de cette incitation à ramener leurs savoirs en faveur d’un panafricanisme moderne ? « Les personnes qui vous disent de revenir savent très bien qu’ils vous mettent de la poudre aux yeux. Moi, je le dis à tous mes petits frères et sœurs qui envisageraient de venir au Sénégal : ne rentrez pas. Peu importe que vous ayez les plans et le projet fini, son application ici sera impossible, car c’est une autre culture ». Au fil de la conversation et de mes questions, elle nuance légèrement ses propos, concède que cela peut dépendre du secteur mais elle reste ferme : une initiative indépendante est impossible. La Françafrique, les indépendances, le pétrole et autres sujets familiers reviennent sur la table, et finalement, je lui demande : « donc pour toi, il n’y a pas d’espoir ? ». D’un ton sarcastique dans sa robe noire ample et son foulard jaune ceillant sa tête, elle répond « Vraiment, j’adore l’Afrique. Je suis une panafricaniste de la première heure, mais je te le dis : la disparition des coupures de courant,  pour nous ce sera ça le progrès. S’il doit y avoir un changement, ce sera long ». Et toujours, la notion du départ, si essentielle aux afrodescendants (tout quitter pour espérer mieux), ressurgit ici même dans la vie de cette Sénégalaise : « Je ne sais pas encore où, peut-être la Guinée Equatoriale ou autres, mais j’aimerais partir oui ».

Sans rentrer dans les détails des luttes antiracistes, je lui ai néanmoins parlé de l’afroféminisme et cette sororité politique que certaines femmes noires tentaient de construire dans la capitale. « Ah vraiment si c’est le cas, c’est bien. Je vous y encourage ». J’ai tenté d’aborder le sujet avec les filles de Tantie Elsa également. La cadette, en couple depuis quelques temps, me dit qu’elle a toujours été un garçon manqué et qu’elle ne s’était jamais posé la question d’être ou non féministe. Son aînée me dit la même chose avec le sourire: « si le féminisme est de défendre les femmes et d’aspirer à l’égalité avec les hommes, alors oui, je suis certainement féministe ». Son ton devient plus passionné quand elle dénonce le privilège masculin dans le monde du travail « si une femme réussit, ce sera toujours grâce à une promotion canapé [dans le discours ambiant], alors que des hommes ont aussi leurs manières de soudoyer leurs supérieurs. Comme si une femme ne pouvait pas réussir honnêtement, pff ». Néanmoins, elle insiste sur le caractère aléatoire des situations : « avec la corruption et la manière dont les choses marchent parfois, mon frère peut être lésée par rapport à moi. Et ça aussi, ce n’est pas juste. Donc je suppose qu’il y a des choses pour lesquelles on doit se battre ensemble ». Quand je leur rapporte le propos de leur frère sur les femmes sénégalaises et leur « soumission » au mari et à l’institution du mariage, la cadette me répond instantanément : « c’était le cas il y a 20 ans, mais plus maintenant. Le truc de revenir du boulot et, malgré la fatigue, de préparer le dîner pour lui, la plupart des femmes disent non ou envoient l’homme également à la cuisine. Ou encore passent commande pour se faire livrer. Beaucoup de choses ont changé. Cela dépend aussi du contexte, de la classe : une jeune femme du village a plus de chances de suivre un certain modèle de vie déjà arrangée que la citadine » dit-elle en réallumant sa machine à coudre pour finir la robe qu’elle confectionne. Je leur avoue que je trouve compliquée d’identifier les classes sociales ici avec les ethnies, les castes, les religions, la tradition. Toutes ces composantes forment souvent des groupes et des règles que j’ignore, avec des frontières floues entre les différentes classes sociales de Dakar. Où se situe le vendeur qui, chaque jour, vend au bord des routes des sachets d’eau à 50 francs CFA à côté de la femme du village ? Il faudrait beaucoup plus qu’un mois pour le savoir.

Quelques jours auparavant, Ada, une sénégalaise vivant dans les îles Siné Saloum rejoignait les propos d’Ashta, avec plus de nuances : « si tu veux construire ici, il faut être très patient. Les gens te jugeront, te diront « babtou ». Mes collègues m’appellent comme ça car je suis toujours derrière eux, mais je m’en fiche. Il y a une telle richesse ici, qu’il faut être polyvalent, endurant et saisir les opportunités ». Dans le petit village de Ndangan, Ada connait tout le monde, et tient la boutique de la rue quelques jours par semaine pour remplacer le propriétaire quand il en a besoin. Elle me parle des pommiers, me fait goûter des ditakh qui ne sont pas encore mûrs mais « très bon quand même. Ici les gens les mangent comme ça ». Quand elle arrange des balades en pirogue vers l’île aux oiseaux pour moi et qu’elle marchande en wolof ou en serere pour lui rappeler que nous ne sommes pas des touristes blancs, elle me parle tendrement de la beauté de la mangrove et des milieux naturels de la région. Elle me parle des propriétaires blancs qui privatisent morceaux par morceaux ce petit village de pêcheurs et reste enthousiastes quand elle voit d’autres natifs investir timidement dans ces territoires. « Beaucoup de sénégalais ne songent pas à visiter les régions du pays, ils ne voient pas l’intérêt alors que nous avons une telle diversité » dit-elle sous son bob blanc un peu usée. Quand on parle de nature, le mystique n’est jamais très loin et au détour de la mangrove qu’elle aime tant, un guide nous a montré le baobab sacré où les pêcheurs offraient des sacrifices pour avoir une pêche fructueuse toute l’année.

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