#BoycottHumanZoo #ExhibitB en France: "Respect et Dignité"

A lire au préalable :
#BoycottHumanZoo part 1 : le racisme s’invite au musée.
#BoycottHumanZoo part 2 : à la culture de notre servitude.

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“Respect, Dignité”. Voilà les mots que l’on pouvait entendre criés sous le froid et la pluie. Cela fait 2 jours que je me suis rendue au rassemblement. Et je suis épuisée. Moralement et physiquement.

Vendredi soir, premier jour du rassemblement. Je retrouve plusieurs militantes connues sur les réseaux, rencontrent des étudiant(e)s, des mère(s), des père(s), des gens résidant à Saint-Denis, et tous nous nous tenons debout, derrière les barrières, en bas des marches du théâtre. Pour la grande majorité, noirs. Je retrouve la réalisatrice du documentaire Ouvrir la Voix!  venue filmer notre mobilisation et à l’origine de la première vidéo youtube qui figure ci-dessus.

De notre côté de la barrière, les gens discutent, se soutiennent dans cette conviction que notre dignité n’est pas à vendre, que cet “antiracisme” qui n’écoute que lui-même en prétendant nous défendre, est hypocrite; et que la dénonciation du racisme dans une énième répétition du Noir asservi, est fantaisiste et naïf. Une spectatrice blanche fait mine de s’approcher de la barrière pour justifier son choix d’y assister. Erreur. Elle s’empêtre dans la notion de représentation. “Où sont les Blancs ?” dit une femme noire à côté de moi. La femme blanche balbutie, et esquive. Quand elle nous dit que nous n’avons pas vu cette exposition, je lui réponds que nous n’avons pas eu besoin de voir la Revue Nègre et les Minstrel shows qui avaient lieu en France auparavant, et sur lesquels tout le monde s’accorde pour les considérer comme racistes. Quelle est la différence ? Fébrile, elle me répond en balbutiant “mais ça, ça dénonce !”, sans être capable de me dire comment. Je réalise avec stupeur que les gens se contentent de répéter cette phrase sans savoir l’expliquer, dans le vide. Un homme arabe à côté de moi intervient :”le fait que ce soir, vous préférez aller voir ce musée que d’écouter ces personnes – ils nous montrent – qui souffrent du racisme au quotidien, parle de lui-même : ce soir, regardez de quel côté de la barrière vous êtes, madame“. J’en ai les larmes aux yeux. Elle se contentera d’hurler “mais je suis antiraciste !” découvrant, face aux visages noirs qui lui font face, leurs pancartes à la main, qu’il ne suffit pas de le dire pour l’être.

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Plus loin, un débat intense entre Amandine Gay et le directeur du théâtre est lancé (voir la première vidéo). Alors que le dialogue se rompt, je lui demande “comment expliquez-vous que la même mairie [et son théâtre !!] qui accepte de financer un zoo humain, ait refusé au CRAN des expositions portant sur les luttes noires anticoloniales et anti-esclavagistes ?” Il répondra simplement, les bras croisés sur sa poitrine, après une minute de silence, “ce n’est pas un zoo humain“, esquivant la question. L’institution veut tant défendre le racisme que l’on vit, qu’il en privilégie notre déshumanisation au lieu de rendre visible les pans d’une Histoire que l’on ne représente jamais. Quoi de mieux pour prouver que l'”antiracisme” bancal de ces défenseurs s’écoute lui-même dans un délire égocentrique, avant d’écouter les communautés qu’il est censé défendre.

Je choisis sciemment le mot “délire”, car il est le seul approprié pour qualifier cet “antiracisme” qui a brillé par le dénigrement des voix des manifestants et des communautés noires. Dans la presse, nous sommes successivement devenus des “extrémistes”, comparable à la Manif Pour Tous, “intégristes”,”émeutiers” (on parlera volontiers de la vitre cassé du théâtre mais pas du bras cassé d’un des manifestants), “puritains”, et j’en passe, et ce, pour le seul fait de crier sur le parvis du théâtre, le respect de notre dignité. C’est dans ce même délire incommensurable que des journaux, des chaînes, puis des individus – qui s’émeuvent devant Ferguson – ont fait de cette mère – habitant à Saint-Denis et racontant que sa fille lui a demandé “On a toujours été comme ça [asservi] ?”, et de ces personnes noires qui racontaient leur désespoir d’être systématiquement niées et de la violence de leur quotidien; “La bêtise a frappé Saint-Denis”. Voilà, l’expression de votre “antiracisme”.

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Deuxième jour. Le débat public prévu le soir-même est annulé.
Les huit camions de CRS et la chaîne qu’ils forment autour du théâtre me donnent des difficultés à rejoindre mes amies. J’ai peur, et tente de les appeler pour les repérer. Le rassemblement est divisé soigneusement par des barrages formés par les CRS, mais je choisis de rejoindre le noyau qui scande nos slogans. Je trouve finalement les personnes que je devais retrouver, mais le soulagement est de courte durée. Nous sommes soudainement pris par une charge des CRS et un violent choc de corps se fait entendre :

“Hier, aux dernières nouvelles au moins 3 militant.e.s se sont fait.e.s violemment interpellé.e.s par les forces de police :

Pour l’instant nous avons seulement les noms de 3 d’entre eux :

Kara membre de la BAN, Sly et selon toutes vraisemblance le président du collectif AUSAR : Roy Nana Boakye Dankwa Prempeh .

D’après les informations en notre possession se serait Sly qui se fait violemment matraqué au sommet du crane par le policier en civil en capuche bleu alors qu’elle est concrètement sans défense. Se serait aussi en essayant de lui venir en aide que les frères Roy Nana Boakye Dankwa Prempeh et Kara se serait fait eux aussi violemment interpellés.

Malheureusement à cette instant la police en surnombre était parvenu à nous scinder 2 groupes isolés les un des autres”Post de la BAN

Instinctivement, nous reculons tous, et terminons parqués à la droite du théâtre. Nous donnons de la voix, encore. Une des organisatrices du rassemblement prend alors le micro, expliquant que depuis des mois, ils ont essayé d’instaurer un dialogue avec la mairie et le théâtre de Saint-Denis, et qu’ils ont été constamment ignorés. Pas une seule caméra ne l’écoute ou ne la filme. Mais lorsque arrive un homme noir, sortant du théâtre après avoir vu le spectacle et disant qu’il a été ému, les caméras resurgissent instantanément, collant leurs objectifs pour l’entendre. S’en suit un débat entre lui et certains des manifestants, dont moi-même : où sont les Blancs dans ce zoo humain ? L’argent est-il reversé ne serait-ce qu’à une association antiraciste ? Pourquoi le même théâtre choisit-il l’image de notre déshumanisation alors que nous avons suggéré et suggérons encore des pièces de luttes anti-coloniales et anti-esclavage ? Pourquoi la sensibilité  des gens émus devant des corps enchaînés vaut-elle plus que celle des Afro-descendants, à leurs yeux ? Pourquoi on ne nous entend pas ?  Une fois encore, nos questions demeurent sans réponse et nous avons droit à un discours digne des politiciens “je vous comprend mais…”. Il nous décrit le “spectacle” et son émotion devant les têtes coupées chantant des mélodies lugubres, incapable de dire en quoi son émotion rend cette oeuvre antiraciste et dénonciatrice.

Bien sûr, on ne vous parlera jamais , ni vous montrera cette psychiatre qui, au bord des larmes, à argumenter point par point pour quoi “objectifier” le corps noir n’était pas synonyme de sympathie. Que la question raciale demeure latente, même dans cette “émotion” antiraciste des quelques spectateurs, émotion qui semble excuser notre humiliation. Non, on ne vous la montrera pas, ni ce professeur en études coloniales qui a débattu également, etc… On vous montrera davantage les célébrités-caution, ça vend plus. Et on se contentera de nous dépeindre comme les “émeutiers”, sans réflexion, sans parole, comme si notre colère était une question d”‘exagération”. Tel est le vernis de votre censure, celle que vous nous apposez.

“Ce n’est pas mon ancêtre que je vois

dans cette Femme à demi-nue, muette, immobile, digne et belle dans l’humiliation

Ce sont les jeunes actrices d’aujourd’hui, d’ici en France qui n’ont pas d’autres rôles que celui d’être noires, nues, et silencieuses.

Ce n’est pas mon ancêtre que je vois

Dans cet homme au masque de fer, au chant de vie crucifié

C’est mon chant étouffé, bâillonné, assassiné

Ce ne sont pas mes frères ni mes sœurs que je vois

Dans ces femmes et ces hommes ligotés

Asphyxiés dans d’obscurs charters d’expulsion

C’est mon présent, toujours reconduit à demain

Toujours mis à la porte de cette société

qui est pourtant mienne.

Non, ce n’est pas de censure qu’il s’agit aujourd’hui

C’est d’un cri

Un cri qui s’élève contre la censure qui nous ait faite

Plus fort que les paroles bien pensantes de ceux-là qui font commerce de notre liberté

Un cri

Contre les cages où l’on aimerait bien nous maintenir

Chacun dans son cadre, noir, blanc, jaune et indéterminé

Contre cet apartheid des imaginaires, des cœurs, de nos vies

Qui voudrait que ce soit toujours les mêmes qui parlent pour les autres”
Poème de Myriam Tadessé. 27/11/14

Au milieu de ces autres manifestants, après les charges de la police et le mépris, je suis restée de longues minutes à regarder les fenêtres éclairées du premier étage du théâtre. Tous nous regardaient, tout en discutant entre eux et en buvant leurs verres, depuis le début. Ils nous dévisageaient comme hier, puis parfois nous tournaient le dos. Ce matin encore, j’ai cette image en tête, me demandant: quel peut-être cet “antiracisme” que vous défendez du haut de votre tour d’ivoire, regardant de haut la foule noire, encerclée en bas, dans le froid ? Comme beaucoup d’autres qui étaient là, je m’interroge.

Quand, entre deux gorgées, pensez-vous une seule seconde à la vie et la souffrance des personnes noires ?

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 Pour aller plus loin :

«Exhibit B»: Oui, un spectacle qui se veut antiraciste peut être raciste