Littérature jeunesse et diversité : pour tous les enfants, vraiment ? (1)

La diversité dans les livres de jeunesse en 2012 (relevés sur 3,600 livres analysés par la CCBC)

Lors de mon premier salon du livre, j’étais en charge d’un stand jeunesse, allant de 3 à 8 ans. Si une majorité de rose surpeuplait la table quand il s’agissait de viser de jeunes filles, l’uniformité des différents enfants héros était toute aussi flagrante. A la fin, nous avions le choix de prendre un exemplaire parmi ceux exposés, en cadeau, et mon choix s’est porté sur un album qui m’avait séduite dès le début. L’histoire suivait l’aventure d’une petite fille asiatique qui apprenait la calligraphie… mais là encore, on voyageait dans un pays lointain, avec habits traditionnels et exotisme. A lui seul, ce magnifique album résumait l’offre proposée aux enfants non-blancs en France : rare et exotisée. On pourrait mettre ça sur le compte du choix sélectif du stand, du choix du libraire – ce qui, pour le coup, est faux car la libraire était très engagée mais devait répondre à la demande. En somme, on pourrait se débattre avec le caractère exceptionnel de ce petit album de jeunesse trouvé lors d’une foire du livre.

Mais le(s) témoignage(s) de parents qui vont suivre révèlent un manque bien réel d’une littérature jeunesse diversifiée dans ses acteurs et, par conséquent, excluante dans son lectorat. En effet,  à l’heure où le sexisme présent dans la littérature de jeunesse fait peu à peu débat, un autre champ d’interrogation demeure invisibilisé : la mixité raciale*. Ce manque est-il du à un désintérêt des auteurs ou est-il le résultat d’un filtrage éditorial des grandes maisons ? Outre atlantique, des auteurs afro-américains de Young Adult, litté jeunesse et comics dénoncent déjà un paysage éditorial privilégiant la représentation d’enfants blancs dans le monde de l’édition anglophone (voir statistiques ci-dessus); et c’est avec timidité que certains journalistes français se penchent sur la question, notamment sur les propos et stéréotypes racistes véhiculés comme le soulignait cet article sur le site Slate.

Alors quand, au détour d’une conversation, je me suis retrouvée à parler de ce sujet avec une mère, il m’a semblé intéressant de connaître l’expérience et la parole des parents face à ce phénomène, l’occassion peut-être d’éveiller les esprits sur une blanchité toujours tabou.

  • Pourriez-vous vous présenter un peu et dire l’âge de vos enfants ?

Je m’appelle Dina, j’ai 36 ans, je suis née et ai grandi en région parisienne. J’habite depuis 5 ans en Angleterre, ou je suis maître de conférence en communication et marketing. J’ai un fils de 3 ans et demi, né en Angleterre, métis. En effet, mes parents sont nés à Madagascar.

  • Quelle place tient la littérature jeunesse pour vous ? Est-elle importante pour vous en tant que parent ?

La littérature jeunesse tient une place importante dans ma vie. Tout d’abord parce que je suis une grande lectrice depuis mon plus jeune âge, donc la littérature jeunesse m’a accompagnée durant mon enfance. Et ensuite, parce que je tente de développer chez mon fils cet amour des livres et des histoires. Et surtout, je trouve que les livres (et les films, les séries tv…) sont d’excellents moyens pour entamer des discussions sur la vie en général, la société, soi, les autres etc. Donc, j’utilise ce que je trouve en littérature jeunesse pour essayer de faire comprendre a mon fils que ce qu’il vit, ce qu’il ressent… d’autres peuvent le vivre et le ressentir aussi. Je trouve ça formidable en tant que parent.

Ça permet souvent d’exprimer des choses que je n’arrive pas à expliquer sinon, trouver des mots justes auxquels je n’aurais pas pensé.

Le tout est bien sûr de trouver des livres en adéquation avec le message que je souhaite véhiculer. Je dis beaucoup “je”. Mais il est vrai que dans notre couple, je suis naturellement la personne qui vais m’occuper d’acheter des livres ou d’amener mon fils à la bibliothèque, plutôt que mon mari.

  • Si la littérature jeunesse est peu à peu remise en cause pour les clichés sexistes qu’elle colporte, un autre problème est assez présent : la représentation d’enfants non-blancs. En effet, le débat est assez vif dans les pays anglophones, comme le cas de la canadienne Zetta Elliott qui, en tant qu’auteur, dénonçait le manque d’implications et le racisme ambiant dans l’édition jeunesse. Avez-vous rencontré ce problème en France ? Si oui, comment palliez-vous à ce problème ?

Lorsque j’étais petite, je n’avais pas du tout conscience de la représentation très blanche des enfants dans la littérature jeunesse. En fait, j’ai intériorisé cette normalisation et cette invisibilisation jusque très récemment. J’ai fait des études ou j’ai régulièrement été “la seule noire” de la classe ou même de la promo. Habiter en Angleterre me permet d’avoir un autre rapport à mon identité, à ma couleur de peau. Ici, on n’est pas défini par sa couleur de peau. On me considère comme française avant tout. Ce qui me permet de ne plus trop chercher à me “blanchir” dans mon comportement (je ne sais pas si c’est clair, ex: ne pas faire de vague, être discrète, être plus performante que les autres, faire en sorte qu’on ne puisse pas me reprocher ce qu’on reproche aux noirs en général…). Et je voudrais que mon fils ait le moins possible à ressentir ce complexe, cette honte, qu’on ressent quand on est un enfant différent de la norme.

Jusqu’à présent, je n’ai pas trop eu ce problème de racisme avec les choix de livre jeunesse car les personnages que mon fils aime sont abstraits ou des animaux stylisés (Tchoupi, Peppa Pig). Mais c’est vrai que je trouve beaucoup plus de livres “engagés”/”citoyens” (comme j’essayais de décrire plus haut) en Angleterre qu’en France. Ici, on va facilement trouver des livres qui vont parler du métissage, du racisme etc… mais sans recourir a des explications elles-mêmes racistes. Ce que j’ai trouvé dans certains livres en France.
Par exemple, on m’a offert un livre français censé faire l’éloge de la différence. Ce livre met surtout en avant les couleurs de peau, ce qui me met mal a l’aise. Alors, je l’ai mis de côté pour l’instant. En effet, à 3 ans et demi, mon fils n’est pas encore conscient de la couleur de peau des gens. Ce qui est très français, je me suis rendue compte. En France, on raisonne d’abord par la couleur de peau. A la nursery, mon fils est entourée d’enfants de multiples origines et de mélanges divers et variés. Donc pour lui c’est naturel d’être différent, pour l’instant il n’est pas conscient d’une norme. Et je sais que ce ne sera pas le cas longtemps (car lorsque nous rentrons en France, il se prend des remarques sur sa “jolie couleur caramel”, “qu’est-ce qu’il a de la chance d’être tout le temps bronzé”), mais j’aimerais que ça dure le plus longtemps possible.

Et lorsque la réalité le rattrapera, j’attends de la littérature jeunesse qu’elle puisse me fournir les outils pour lui expliquer comment gérer au mieux cette découverte pour ne ressentir ni complexe ni honte.

Apres, je n’ai pas trop rencontré le problème non plus car je passe beaucoup de temps à choisir les livres pour mon fils. Comme je l’ai déjà dit, il est très important pour moi que le message véhicule corresponde à mes opinions. Donc, délibérément je ne vais pas choisir un livre que je trouve sexiste (il y en a tellement) (mon fils aime le rose et je ne veux pas qu’il en ait honte) ou raciste.

  • L’affaire autour du livre jeunesse Tous à poil à questionner l’impact de la littérature jeunesse : on l’a présenté comme étant “dangereuse”, comme si l’on sous-estimait la construction de l’enfant par rapport à ce qu’il peut lire.En tant que parent, êtes-vous conscient de cet impact ?

J’ai peut-être répondu plus haut a cette question. Mais en bref, je suis très consciente de l’impact de la littérature jeunesse, et c’est ce que je lui demande: d’avoir un impact dans la vie de mon fils pour l’aider à lui donner les clés de notre société. Donc pour moi, la littérature n’est pas dangereuse mais pédagogique/civique. C’est en effet ce qui va l’aider a se développer, à construire son identité, vu la façon dont j’utilise la littérature jeunesse et la façon dont j’éduque mon fils.

  • La mixité raciale est souvent synonyme d’exotisme dans la littérature jeunesse, comme offrant un tour du monde, aux dépends d’une représentation moins lointaine : pourquoi selon vous, cela persiste-t-il ? Et quel message cela peut-il transmettre ?

En effet, et c’est justement ce qui me gênait peut-être dans le livre que je citais plus haut (qui s’appelle Vive la Différence). Je ne sais pas trop répondre à cette question, surtout par email. Je dirais que ça rassure les gens, la diversité vue par le prisme de l’exotisme ramène peut-être à la vision des colonies, qui mine de rien reste le référent lorsque l’on parle de couleur de peau. Peut-être que ça gêne de voir des gens de couleur pleinement français et que c’est plus rassurant de les considérer comme venant de contrées lointaines. Une dame âgée avec qui j’ai passe le weekend m’a sorti que j’étais surement frileuse parce que je venais d’un pays chaud (en Angleterre il fait plus froid et il pleut plus souvent qu’en région parisienne!). Mais je ne sais pas vraiment. Là, j’essaie de trouver des pistes, mais complètement improvisées.

  • Que ce soit dans le monde de l’édition anglophone ou francophone, le secteur de la littérature jeunesse est l’un des plus actifs, et pourtant, quand on te lit, on se rend compte qu’il y a une réelle demande d’une littérature plus représentative; est-ce que tu penses que derrière ce manque de mixité, il y a un malaise sociale, notamment cette difficulté d’aborder le racisme, sujet tabou au Royaume-Uni et en France, par exemple ?

En fait, je pense que comme dans les médias en général, la raison doit sûrement être liée au manque de mixité au niveau des éditeurs, au niveau des décideurs.

Je connais mieux le monde de la publicité, mais je pense que le processus doit être similaire. En effet, en publicité les messages véhicules émanent d’une population homogène homme/blanc/csp+. Donc forcément, ils véhiculent à travers les publicités la vision de leur propre monde, la vision du monde telle qu’ils la voient. D’où les problèmes récurrents de stéréotypes dès qu’ils veulent parler d’une catégorie différente.

Je pense que dans le domaine de la littérature jeunesse un même phénomène doit être à l’oeuvre. C’est difficile pour des personnes qui n’ont pas vécu de discriminations ou les conséquences d’être différent de ne serait-ce qu’imaginer ce que ça peut être au quotidien. Déjà, je pense que ces personnes ne peuvent même pas se rendre compte de quoi on parle. Et puis, les personnes de bonne volonté qui vont vouloir agir, faire quelque chose, publier un livre sur le sujet, si elles font appel à quelqu’un d’autre qu’une personne ayant vécu les problèmes de racisme, ne pourra parler que de stéréotypes encore une fois, ne pourra parler que de l’idée abstraite qu’elle se fait de ce que peut être le racisme, d’où le fait de souvent lire des choses à côté de la plaque ou maladroites.
Mais alors c’est tout un système d’authorship (ndlr:  le “circuit” des auteurs) qu’il faudrait promouvoir et mettre en place, pour pouvoir donner la parole à ceux qui ont quelque chose à dire sur le racisme et mettre ses paroles en images/mots.

D’ailleurs, ça me fait penser qu’à la naissance de mon fils, justement j’avais envie d’écrire un livre pour enfants sur le fait d’être métis. En effet, j’avais l’idée d’écrire un livre pour aider mon fils à comprendre le fait d’être entre deux couleurs pour qu’il puisse trouver sa place naturellement au lieu de se sentir comme n’appartenant nulle part. Mais j’avais du mal à vraiment trouver la façon de le dire puisque, inconsciemment, j’appliquais ma propre expérience (entre deux cultures) à un vécu extérieur à moi-même. Donc j’ai mis de côté.

Mais pourquoi pas un jour écrire quelque chose sur ma propre expérience déjà…

Merci à Dina pour cette interview et son temps.

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*On précisera de quelle mixité il s’agit, étant donné que la mixité des sexes est d’ores et déjà débattue actuellement.

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