Pourquoi #LEMONADE de Beyoncé est iconique ?

Je n’avais pas prévu de rester jusqu’à 3h du matin debout pour #LEMONADE, mais difficile de ne pas céder à l’engouement général.

Après son clip Formation, le très attendu LEMONADE a été diffusé ce week-end sur HBO. Encore une fois, l’engouement était tel que le site du streaming Livestream a sauté, et les liens Périscope ont été épuisés un à un à cause de la surcharge des spectateurs du monde entier.
Lemonade donc, c’est ce long-métrage d’une heure, avec une esthétique léchée qui souligne ce que certain.e.s américain.e.s appellent la Black Womeness (ou plus généralement Black Womanhood). En effet, le caractère iconique de ce long-métrage est dans l’ode à la femme noire qu’il formule, sans concession, sans compromis.

Dans cet article, je vais donc expliquer pourquoi #LEMONADE est iconique, de mon point de femme noire française. Je vais également référencer des points qui ont été traités par d’autres blogueuses noires, et essayé de noter le maximum de références ici. Il est vraiment important de fournir des contenus francophones, surtout pour contrebalancer les faux articles des rédactions et pour la transmission.

Si vous aussi, vous êtes afrodescendantes et avez écrit un article sur le sujet, n’hésitez pas à le poster en commentaires ou à souligner d’autres références !

Alors, pourquoi Lemonade est iconique ?

  • Angry Black Woman et le refus d’une politique de respectabilité

La posture “Angry Black Woman” est assumée dans le chapitre Anger : “Who the fuck do you think I am ?”, derrière une histoire individuelle où Beyoncé semble s’adresser à Jay-Z et dénoncer sa liaison, il y a toute une imagerie de la colère de la femme noire, assumée dès les trois premiers clips. “I ain’t sorry” est le paroxysme de cette partie: entourée de femmes noires aux body arts Yoruba et aux coiffures africaines, Serena Williams – femme noire foncée – se joint à Beyoncé  pour ces couplets : “I ain’t sorry”. Encore fois, il est intéressant de voir qu’au premier abord, on traduirait ce “I ain’t sorry” comme un refus de se taire sur sa vie intime, mais ce “I ain’t sorry” peut être interprété comme un refus de se soustraire à une politique de respectabilité. D’une part, à cause de ce “unapologetically black” (pro-black sans concession), “unapologetically black woman” (centré sur les femmes, sans concession). C’est donc amusant de voir que beaucoup questionne cette exposition de sa vie privée, quand il est justement question de célébrer les femmes noires, de l’angry black woman à la vulnérabilité qu’on leur refuse constamment.

  • L’intemporalité des femmes noires

“the past and the future come to merge in the present”

J’ai particulièrement tilté à cette évocation qui est en filigrane dans tout le “documentaire”. Lors de l’évènement Noir.e.s D’encre, Maboula Soumahoro et Josette Spartacus expliquaient que l’écriture féminine noire n’est pas nouvelle, c’est seulement qu’elle dispose de plus d’accès que dans le passé; car il y a toujours eu des femmes noires, et toujours eu des histoires intimes les concernant, privées de canaux de diffusion ou de lieux d’expression.
Par conséquent, d’un point de vue littérale, c’est l’occasion pour Beyoncé d’évoquer sa mère, son statut de femme, l’influence de sa grand-mère qui “vendait de la limonade”. Mais d’un point de vue plus global, il est fascinant, encore une fois, de voir toute cette imagerie qui fonctionne:

  • par petits indices: par exemple, le disque de Nina Simone posée sur un meuble, là encore une femme noire foncée célèbre que l’on connaît pour « Do What You Gotta Do », et qui clamait: « Man I can understand how it might be/Kinda hard to love a girl like me ».
  • par références cinématographiques : certaines images font référence au film Daughters of the Dust, film culte réalisée par une femme noire également, Julie Dash.
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  • par références mythologiques : lorsque Beyoncé se jette dans l’eau, puis rouvre les portes de l’édifice en laissant l’eau se déverser à ses pieds, habillée d’une robe jaune, et dit “Are you cheatin on me ?”, il s’agit d’une référence à la déesse Yoruba, Oshun, orisha des eaux et des rivières (“I was baptised in the river”). On lui attribue la couleur jaune/or et  l’amour, la fertilité, la sensualité.  Aussi, son objet fétiche est le miroir.Ce qu’on oublie, c’est que cette déesse est aussi connue pour sa colère.
    Ainsi les paroles de Beyoncé énonce également :

“Fasting for 50 days, abstained from mirrors, abstained from sex… swallowed a sword, jumped into a volcano.”

Si l’on va plus loin, Oshun est également la gardienne des secrets de sa soeur Oba qui, répudiée par son mari Shango finit par se retirer du monde, au sein d’un cimetière. Ce qui nous amène aux paroles suivantes, qui débutent avec le chapitre Apathy : “What are you gonna say to my funerals now that you’ve killed me ? Here lies the body of the love of my life”.
(Comme l’a noté une lectrice sur Twitter, on peut aussi souligner la présence du duo Ibeyi, qui sont les jumeaux orishas d’Oshun).

  • par références historiques : n’oublions pas l’esthétique de Nefertiti. Dois-je en dire plus ?

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  • Les collaborations afro à foison

Du texte “For Women Who Are Difficult To Love” de la poétesse Warsan Shire au body art Yoruba de Laolu Senbanjo, en passant par la participation de la danseuse étoile Michaela Prince, il est important de noter que Lemonade met en avant les travaux de plusieurs artistes afro. Spread that melanin, y’all.

  • Masculinité et figure du père.

“Mother dearest, let me inherit the earth.
Teach me how to make him beg (…).
Did he bend your own reflection ?
Did he make you forget your own name ?
Did he convince you he was a god ?
Did you get on your knees daily ? (…)
Am I talking about your husband or your father ?”

Ce paragraphe précède la chanson Daddy’s lessons, une chanson country évoquant l’influence de son père, ainsi que le Texas. “My daddy made a soldier out of me”, “Daddy taught me to be strong (…)”, “He told me not to cry”… on ne peut être insensible à l’évocation de la figure du père, mais aussi à l’évocation de la masculinité x la féminité de l’artiste, et le rapport de force entre les deux. Il est rare de voir aborder la relation père et fille, un des sujets les plus intimes chez les femmes noires.

  • La dénonciation des violences policières

Pendant que l’évocation des violences policières est dite sans intérêt par Libération, Beyoncé rend visible les mères de ces défunts tristement connus, comme Michael Brown ou encore Trayvon Martin. Là encore quand on sait l’exposition médiatique qu’a permis Lemonade, ce n’est pas anodin.

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  • L’omniprésence des femmes noires et leur exclusivité

“One thousand girls raised their arms”

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Qu’il s’agisse de la présence des femmes célèbres (de Serena Williams à Amandla Sterberg, en passant par ses protégées Chloe et Halle, et bien d’autres), des hommages aux femmes de sa famille, des mères noires de victimes de violences policières à la présence de femmes noires anonymes; l’omniprésence de femmes noires dans un long-métrage en primetime sur HBO est politique.

Cette omniprésence témoigne également de l’exclusivité de cette ode: non, ce n’est pas une ode aux Afrodescendants, non, ce n’est pas une ode aux femmes, mais une ode exclusive aux femmes afrodescendantes.

Dans leur diversité de corps, de carnations, de cheveux, d’âges, Lemonade est exclusivement, complètement, prioritairement pour elles.

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  • Freedom, apogée de l’émancipation

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“Freedom, where are you ? Cause I need freedom too ! I’mma keep on runnin ‘Cause a winner don’t quit on themselves”

La reconnaissance de la Black Womanhood s’ajoute ici à l’émancipation, (“I break chains all by myself”).Dans excellent article, la bloggeuse ghanéenne Obaaboni souligne que la force de Lemonade est dans l’affirmation de l’existence des femmes noires. Elles existent. Non pas par rapport à au patriarcat, non pas par rapport au racisme, ou encore la misogynoir; elles existent pour ce qu’elles sont.

“On the contrary Black womanhood does not necessitate a definition that relies on our oppressors for existence or for relevance. Nah. We, the Black women of the world, we just are.

This piece does not claim that we are rational like men. This piece does not claim that we are beautiful like whites. This piece, like Beyonce’s Lemonade, teaches us that we just are. That we need not be in relation to whiteness to be, that we need notbe in relation to masculinity to be.”

Voilà pourquoi écrire et transmettre les productions des femmes noires, c’est aussi s’émanciper. Le mépris classiste et raciste de certaines rédactions françaises à l’égard de Lemonade – doublée de fainéantise – prouvent bien l’ignorance vis-à-vis de l’imaginaire des femmes noires. Il n’est donc pas étonnant que des non-concernés, si prompt à vouloir commenter Lemonade, soient à côté de la plaque et y voient “une succession de séquences arty entrecoupées de divagations autofictionnelles frugalement politisées”. Wypipole…

En somme, LEMONADE fonctionne comme un palimpseste visuel : il est un ensemble de plusieurs couches, et chacune de ces couches recèle d’une signification. Comme ce regard complice que deux femmes noires s’échangent lorsqu’elles se retrouvent au milieu d’une foule, Lemonade parle aux femmes noires en invoquant un vécu. C’est une expérience individuelle qui fait écho à une Histoire beaucoup plus grande, intemporelle et presque maternelle entre les femmes noires.

Merci à Akissi.
Pour aller plus loin :
Sur Oshun et Oba.

Elles aussi ont écrit sur Lemonade:
Lemonade, ode à la libération de la femme noire. 

 

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