Le racebending : enjeux et limites du concept

La dernière fois, je donnais une présentation sur le Young Adult en France et j’ai proposé un quizz aux participant.e.s : parmi les questions posées, ils devaient trouver la définition de Racebending… Et les échanges qui en ont découlé étaient passionnants !

En les écoutant proposer plusieurs angles, j’ai réalisé ce qui me titillait avec ce concept : le racebending est un concept un peu poreux, qui couvre plusieurs situations, et surtout dont l’usage est souvent simplifié. J’ai décidé de m’y pencher aujourd’hui !

Avant-propos : le racebending étant le sujet favori des branches fachos de certaines fandoms, je bloquerai tout commentaire déplacé ou autre, vous êtes prévenu.e.s.

Alors, c’est quoi le “racebending” ?

Quand on cherche la définition, on trouve sur Wikipédia, ceci :

“Racebending faisait initialement référence à la campagne des fans contre le blanchiment du casting d’Avatar : le dernier maître de l’air pour le film Le dernier maître de l’air. Le terme est un jeu sur l’élément de flexion dans la série animée.

Depuis, il a adopté une définition plus large du changement de race ou d’origine ethnique d’un personnage d’une source à une autre (ou d’un canon à un fanwork) et, contrairement au sens original, fait souvent référence à des personnages qui sont canoniquement ou populairement représentés comme le blanc est réinventé en tant qu’ethnies minoritaires/caractères de couleur (également appelé refonte chromatique).”

Wikipédia

C’est justement le glissement du terme que je voudrais creuser aujourd’hui, puisque, rien que dans la définition, l’origine du terme a été utilisée pour dénoncer le whitewashing (le fait de blanchir un casting/un personnage racisé).

  • Est-ce que ça signifie que le whitewashing est un “racebending” comme les autres ?
  • Est-ce que la flexibilité du concept dépend du contexte ?
  • Et comme tout concept poreux, est-ce qu’il n’y a pas des limites à adresser ?

Dans cet essai, je… Je plaisante ! Mais vous l’aurez compris, il y a pas mal d’enjeux autour de ce terme qui nécessite de se poser.

Le whitewashing, un racebending comme les autres ?

Comme je le disais, le whitewashing est le fait de blanchir un personnage racisé dans une histoire, un phénomène qui est loin d’être anecdotique dans un monde raciste qui soit invisibilise les personnes racisées, soit les caricature à des fins de divertissement.

Il faut donc rappeler que l’imaginaire dominant, particulière en Occident, est construit pour une audience de personnes blanches suivant des mécanismes racistes à l’égard de communautés minorisées (je ne vais pas revenir ici sur la construction d’un imaginaire collectif colonial, je l’ai déjà abordé en long et en travers sur mrsroots.fr et dans des posts précédents).

On ne peut donc appréhender le whitewashing, sans admettre le contexte raciste dans lequel il s’inscrit, y compris les rapports de force dont il bénéficie : une oeuvre “whitewashée” sera plus facilement diffusé que des oeuvres authentiques portant sur des personnes ou des communautés racisées.

Dans le cas d’un personnage blanc qui “deviendrait” un personnage racisé, il y a plusieurs cas à prendre en compte quand on parle de racebending :

  • Un personnage “connu” comme étant blanc : La Petite Sirène

Penchons-nous ici sur le cas de la Petite sirène. Le backlash raciste de l’interprétation de la Petite sirène par Halle Bailey reposait sur le fait que la Petite sirène a “toujours” été blanche. Sauf que… Un film de Disney datant des années 90 ne suffit pas à exclure les milliers de contes à travers le monde qui existent et font mention de sirènes. Y compris des sirènes noires.

“Oui, mais c’est un conte scandinave/le film Disney, qui a été adapté !”

Ok, mais est-ce qu’Ariel et son royaume de sirènes sont scandinaves ? Y a-t-il des éléments identifiables de la culture scandinave ? Et qu’est-ce qui empêche Disney de faire une réadaptation de son propre film ?

Ce qui nous amène donc à un autre point : le racebending inclut aussi de changer l’ethnie d’un personnage qui, dans son histoire originale, n’aurait aucun marqueur culturel de notre réalité.

Comme les elfes, ou les nains dans Anneaux de pouvoirs. Si ce sont des créatures fantastiques, qui n’existent pas donc, pourquoi leur taux de mélanine devrait se limiter au blanc ?

Ce qui rend d’autant plus malhonnête et raciste, la revendication de fidélité littéraire : outre le fait que les contes et les créatures mythiques ont voyagé par le biais de traditions orales à travers le monde, le concept même de conte est connu pour sa réécriture, selon les zones géographiques ou à travers le temps. Pourquoi, donc, les réécritures posent-elles uniquement problème quand il est question d’inclure des personnages racisées ? La diversité des versions embête, de manière surprenante, dès lors qu’on s’éloigne de la blanchité – parfois supposée – d’un personnage.

  • Le cas du multiverse : Spiderman

On a assisté au même backlash négrophobe concernant Miles Morales dans Spiderverse, ce qui a donné pas mal de papiers le présentant comme un exemple de racebending. Il est vrai qu’un personnage mordu par une araignée, c’est pas un ancrage culturel en soi et ça laisse la possibilité pour revisiter ce superhéros. Mais surtout – et certains ont déjà réagi en DM quand je l’ai sciemment formulé ainsi – c’est pas un “Peter Parker” noir en l’occurence, mais bien une exploration du lore du lore de Spiderverse. Du coup, je me demande même si on peut vraiment parler de racebending dans ce cas…

Le racebending: ou la richesse d’une réécriture

Au fond, donc, le racebending est un procédé de réécriture qui, quand il sert la représentation de personnages racisés, peut donner l’opportunité d’enrichir un lore ou un personnage, selon le contexte. Miles Morales est un bon exemple, notamment dans la manière dont ses origines sont abordées, mais je pense aussi à la nouvelle adaptation d’Entretien avec un vampire (C’EST TROP BIEN !!)

Dans la nouvelle série Entretien avec un vampire, Louis Pointe du Lac est afro-américain, né en Louisianne. Ce que je trouvais intéressant, c’est comment dans un contexte de ségrégation raciale, le pouvoir du vampire apparaît à Louis comme un moyen de sortir de sa condition, un levier d’ascension sociale, de liberté, mais aussi de vengeance. Le rapport à l’humanité est enrichie par l’expérience de cet homme noir à cette époque.

Même constat dans House of Dragons où les projets d’alliance et de mariages chez les Velaryon prennent une tournure toute particulière, quand l’un des personnages se révèle être un enfant illégitime (je vais pas plus loin, sinon spoilers). C’est d’autant plus intéressant quand on sait que le symbole de supériorité et de pureté dans ce verse relève des cheveux argentés… donnant des locks argentées, donc (je me base uniquement sur la série).

Le racebending et ses médiums

Ce que je remarque également, c’est que les enjeux autour du racebending ne sont pas tout à fait les mêmes selon les médiums exploités.

Quand Katniss est décrite avec un “teint olive” dans un contexte états-unien, qu’il est traduit en France et nous paraît “vert” en tant que lectorat français, et qu’elle est finalement interprétée par une actrice blanche à l’écran suite à du whitewashing… On a une belle illustration de l’impact des médiums.

Je ne vais pas revenir sur le cas de Hermione, et sa description floue/racially ambiguous, parce que ça va m’agacer, mais vous avez compris l’idée.

J’ai interrogé LK Imany, illustratrice et autrice, sur le milieu de l’illustration et le rapport au racebending :

“dans notre culture du dessin, c’est hyper commun de racebend des personnages blancs en personnages racisés. Beaucoup de personnes n’hésitent pas à proposer dans leur portfolios des personnages populaires comme Miles Morales. À mon sens, ça permet de faire réfléchir les industries sur le manque de diversité, surtout dans les arts visuels…”

LK Imany

Je trouve intéressant de questionner les canaux de diffusion des personnages “racebended”, justement parce que l’industrie du cinéma bénéficie d’une hypervisibilité qui met beaucoup ce type de réécriture en avant : en témoigne Disney et sa primauté supposée sur La petite sirène, mais aussi autres les franchises américaines que j’ai citées jusqu’ici.

Le racebending dans l’audiovisuel : “une diversité marketing” au détriment des acteur.ice.s racisé.e.s

Tout comme la réécriture donc, le racebending favorisant une représentation positive des personnes racisées peut être un outil pour enrichir un imaginaire dominant normé et raciste, en soi. C’est comme avoir plusieurs adaptations d’une même histoire quoi, avec des propositions différentes dans les angles choisis.

Ce qui me gêne, néanmoins, c’est que l’usage du racebending, dans l’industrie audiovisuel se fait au détriment des acteur.ice.s racisé.e.s castés pour porter ces nouvelles adaptations. Preuve qu’une “diversité” de façade n’a aucune intérêt sans une démarche antiraciste devant et derrière la caméra.

“Dans des mondes de dragons et d’elfes, pourquoi le choix d’un homme noir est-il la limite à laquelle les fans de fantasy sont prêts à suspendre leur incrédulité ?”

Lenny Henry, interprète de Sadock Burrows dans Les Anneaux de Pouvoir

Plusieurs acteur.ice.s ont évidemment dénoncé le racisme des fandoms, à l’annonce de leurs rôles, mais j’ai particulièrement apprécié Jodie Turner Smith, actrice jouant dans The Acolyte, qui a alpagué Disney et son silence systématique quand les acteurs racisés de ses franchises sont attaqués.

“Ils doivent arrêter de faire ce truc où ils ne disent rien alors que les gens sont inondés de racisme et de conneries sur Internet”, a déclaré Tuner-Smith à propos du manque de réponse de Disney à la toxicité de “The Acolyte”. « Ce n’est tout simplement pas juste de ne rien dire. C’est vraiment injuste.

“Ce serait bien si les gens qui ont tout l’argent montraient leur soutien et mettaient les pieds à terre. Dites que c’est inacceptable : ‘Vous n’êtes pas un fan si vous faites ça.’ Faites une très grande déclaration et voyez simplement si de l’argent part. Je vous parie que non, car les personnes de couleur, et en particulier les Noirs, représentent un pourcentage très important du pouvoir d’achat. Ils trouveront peut-être que c’est en fait plus lucratif pour eux, mais tout le monde utilise « woke » comme si c’était un gros mot.

Jodie Turner Smith, pour Variety

On se doute évidemment de l’intérêt mercantile de Disney pour la diversité, mais à ce stade, utiliser le racebending comme outil marketing aux dépend de la santé mentale et de la sécurité des acteurs racisés, c’est juste capitaliser sur leurs corps, sans se soucier des personnes qu’elles sont.

Ah, la joie du capitalisme et du racisme, marchant main dans la main…

En conclusion

Je pense que ce qu’on peut retenir, c’est que le racebending est un outil qui doit être appréhendé dans le contexte où il est utilisé, selon les médiums, et sans oublier la portée systémique de son usage, notamment quand ça a des conséquences matérielles sur les personnes minorisés.

Analyser le contexte de cet outil ou concept, c’est aussi nous situer par rapport à ce dernier, en tant que consommateur ou créateur d’imaginaires, et notre rôle dans la diffusion des oeuvres avec des personnages racebended… et les oeuvres originales produites par ces mêmes communautés minorisées.

Ayons la même énergie pour les talents émergents et indépendants !

Pour aller plus loin :

  • Whitewashing vs. Racebending: Yes, There is a Difference, Janna G. Noelle
  • The Cast of The Rings of Power Speak Out Against Racist Backlash, Philip Ellis
  • ‘The Acolyte’ Star Jodie Turner-Smith Says Disney Can’t Stay Silent When Actors Are ‘Getting F—ing Dog-Piled on the Internet With Racism and Bulls—‘ , Zack Sharf
  • Racebending: What It Is and Who’s the Problem- How those who are against racebending for the purpose of diversity are rooted in racism, Wisdom Konu
  • Why Corlys Velaryon Is Black (& No It’s Not A Problem) , James Hunt

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *