C’est quoi le community care ?

Ce post a été initialement posté sur mon compte Instagram mrsrootsbooks.

Dans ma publication “Décoloniser le self/care”, j’avais partagé quelques pistes de réflexion sur la nécessité du community care, et posait la question suivante :

Peut-être que le self/care n’est pas seulement sur “comment se suffir à soi-même/s’épanouir seul.e”, mais comment faire communauté autrement, compte tenu des limites qu’on rencontre en ce moment et entre nous ?

Vous vous doutez bien que c’était une question un peu rhétorique, compte tenu du fait que la lutte contre les systèmes de domination requiert des actions collectives. Le fait est que ce n’est pas un hasard si la notion de community care (ou soin communautaire/de la communauté/par et du collectif) est peu abordée. Sa méconnaissance constitue une des entraves dans notre capacité à nous organiser et à nourrir le collectif.

Pourquoi ? On va en parler.

C’est quoi le community care ?

Mais d’abord, définissons le community care (ou soin communautaire/de la communauté/par et du collectif) : Le care communautaire (community care), est la reconnaissance que le bien-être de tous résulte d’une responsabilité partagée, malgré les rapports de force qui régissent nos interractions.

Le community care est donc une des composantes indispensables pour construire une société soucieuse des droits et de la diginité de tou.te.s.

S’interroger sur le community care, c’est aussi s’opposer à une conception du care libérale (lire Care, paternalisme et vertu dans une perspective libérale, de Raul Magni-Berton, si ça vous intéresse.) En gros, une conception libérale du care permet non seulement à l’Etat et de ses institutions de se décharger de toute responsabilité des besoins de ses citoyens et des conditions de vie qu’il nous impose, de faire de notre situation notre entière charge et de favoriser le marché et l’industrie du care comme unique solution.

Mais est-ce possible de construire une société qui mette le care au centre de sa politique ? Evelyn Nakano Glenn a consacré son livre à cette question, dans Pour une société du care :

·Dans une société où le care est une décision collective et communautaire :

– Le travail du care doit être légitimé et considéré comme une responsabilité collective (publique), plutôt que comme une responsabilité familiale ou privée uniquement.

– L’accès au care doit être à peu près équitablement distribué et ne dépend pas du statut social ou économique. En fin de compte, l’idéal serait une société dans laquelle les besoins de tou∙te∙s pourraient être pris en charge dans le cadre d’un service public du care qui serait à la fois de qualité et disponible en quantité suffisante ; c’est-à-dire que le care dispensé dans ce cadre serait individualisé, adapté aux cultures de chacun∙e et assez souple pour pouvoir tenir compte des préférences de celles et ceux qui y ont recours.

Pour une société du care, Evelyn Nakano Glenn

Alors, bien sûr, principe de réalité oblige : on n’y est pas encore dans cette fameuse société. Toutefois, il est important de comprendre que l’instauration du community care commence à l’échelle locale, avec une démarche collective de créer un réseau-support. Nakita Valerio, chercheuse et community organizer musulmane vivant au Canada, insiste sur la portée locale, que ce soit appeler les personnes vivant seules ou participer à des permanences associatives.

Crier à quelqu’un “self-care” quand il ou elle a besoin de “community care” est la raison pour laquelle nous échouons.

Nakita Valerio

Il y a beaucoup de réflexions autour du community care dans les milieux militants travaillant sur la justice réparatrice, celle transformative ou encore ceux travaillant sur la lutte contre le validisme, qui proposent des pratiques concrètes du community care (que je ne peux détailler ici car Insta ne permet pas qu’on fasse 43 slides).

Pourquoi en parler maintenant ?

Suite à la décision de la Cour suprême annulant l’arrêt Roe v. Wade, on a assisté à une indignation collective – et justifiée – à travers le monde. Néanmoins, vous avez probablement vu des discours du type “ouf, c’est pas en France que ça va arriver !” passer sur les réseaux, doublés de discours à côté de la plaque sur la stérilisation forcée comme quelque chose de révolu.

“Les stérilisations forcées ne sont pas une chose du passé ; cependant, un manque de surveillance dans diverses institutions, telles que les prisons, crée un environnement avec une responsabilité minimale pour s’occuper d’une population vulnérable. Ce manque de responsabilité, combiné aux traumatismes subis par les victimes, rend ces problèmes très méconnus.”

Not Just ICE: Forced Sterilization in the United States by Emily Medosch

La vérité, c’est que de nombreux collectifs et associations de groupes minorés alertent depuis des décennies sur les attaques visant leurs personnes, leur dignité et leurs corps, en France devant une apathie générale (voire une certaine complaisance, quand nos existences deviennent des sujets de débats.” Et non, les carrés noirs sur Insta, ça ne compte pas, sorry.

La dénonciation des discours islamophobes incessants sur les femmes musulmanes (et particulièrement leurs corps), la déconjugalisation de l’AAH qui est une lutte pour l’autonomie des personnes handis, pour ne citer que ça, sont autant de revendications sur le choix de disposer de son corps et de sa personne comme on le souhaite. Or, force est de constater qu’il y a une hiérarchie des droits humains – quand ce n’est pas une totale complicité, à détourner les yeux de ce qui est présenté comme “ne nous concernant pas tou.te.s”, “moins universel” ou “sujet à débat”.

Ainsi, je n’aborde pas le community care comme une solution magique qui permettrait une réelle coalition ou convergence politique (ce serait cool hein), mais plutôt comme la preuve d’une pratique collective politique qui est délaissée et parfois remplacée par une indignation performative.

S’engager sur la durée dans la lutte contre le capitalisme, la suprématie blanche et le patriarcat, etc; implique de voir comment ces systèmes attaquent nos droits fondamentaux, en visant d’abord les plus fragiles… et les plus oublié.e.s.



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