“Afro-féminisme”n’est pas Afroféminisme

 

Hello people, long time no see.

Je reviens de la première conférence afroféministe en Auvergne, à laquelle j’ai eu le plaisir de participer avec des militantes d’exception, Fania Noël, Po Lomami et Many Chroniques. Cela fait longtemps que je désirai sillonner la province avec ma petite trousse afroféministe, histoire de décentraliser la lutte auprès des sistah hors de Paris (mais comme l’argent, c’est le nerf de la guerre, c’est toujours difficile de mettre les choses en place). Un grand merci à Myriam qui, étudiante isolée avec sa rage afroféministe, nous a invitées, a fait en sorte que des sistah en Auvergne soit présente, et bien sûr à toutes ces femmes noires qui se sont déplacées. Comme toute rencontre, les idées fusent, les conversations s’embourbent dans une cacophonie de rires et de tchips sur le blantriarcat, et je m’estime toujours heureuse de connaître ces potes qui m’apprennent autant de choses et que j’écoute, comme l’assistance, avec curiosité et reconnaissance. Une fois n’est pas coutume, ces deux jours m’ont permis de déterrer ce brouillon gardé depuis longtemps, et d’articuler ce petit caillou dans ma chaussure – ah, et la com’ d’A mains nues m’a pas mal occupée, mais j’en parle ici.

« Afroféminisme, vous l’écrivez avec un tiret ou non ? »

Si tu me suis sur Twitter, tu as peut-être vu mon mini-ras-le-bol sur l’orthographe « afro-féminisme », et j’ai songé à le mentionner brièvement sur le blog dans la #MinuteLitté. Sauf que. Sauf que les mots sont importants, que j’ai laissé germer, et qu’en discutant avec les militantes citées, en lisant des trucs çà et là (coucou, Assiégées !), j’ai mis le doigt sur ce qui me gênait. Cet article sera, comme d’habitude, l’articulation de ma réflexion sur « un détail qui n’en est pas un ».

Bien souvent dans la presse, je vois afroféminisme orthographié avec un « – « alors que sur les réseaux sociaux et dans les publications militantes, il n’y en a, généralement PAS. On pourrait mettre sur le compte de l’innattention, du fait que « ce n’est pas très connu »*toussote*, mais il me paraît évident que cet orthographe traduit un paternalisme criant dans l’imaginaire collectif sur Le Feminisme TM. Pour faire simple, l’afroféminisme serait le « bébé » du Grand féminisme, avec une fratrie d’autres « bébés » qui engloberaient les féminismes racisés. Or, comme l’a rappelé Po Lomami pendant la conférence : « comment l’afroféminisme pourrait-il être l’enfant d’un féminisme blanc qui l’a toujours rejeté, invisibilisé, méprisé et effacé de son Histoire ? ».  Il y a un vrai paternalisme à imaginer l’afroféminisme comme un pur dérivé d’un féminisme plus grand, et si jusqu’ici ça me semblait évident, je me rends compte que tous les « AFRO QUOI ? AFROFEMINISTES ? OUAIS ENFIN FEMINISTES QUOI » s’inscrivent dans un imaginaire colonial et patriarcal dont beaucoup n’ont pas conscience – ou refusent de voir. Rappelons-le, l’afroféminisme n’est pas « né » aux USA, mais y a été théorisé et a bénéficié de canaux de diffusion dont les afroféministes d’Europe (et des pays du Sud !!) ne bénéficiaient pas, ce qui inclut non seulement le non-accès à des espaces de productions (universitaires, mais aussi surtout les industries culturelles, et d’autres) et à des postes d’influence. L’afroféminisme existe depuis que les femmes noires luttent pour leur dignité face à un système raciste, sexiste et capitaliste et ++++ niant leur humanité et maintenant les oppressions dont elles sont victimes. Qu’il s’agisse de l’esclave Solitude ou d’Harriet Tubman, ou encore de Kimpa Vita, la lutte les concerne toutes.

Et quand ce n’est pas l’origine de l’afroféminisme qui est remis en cause, c’est sa contenance. A cela, Audre Lorde l’a parfaitement résumé :

« le féminisme noir n’est pas le féminisme en black face. »

Po Lomami l’a également reprécisé à la conférence, les femmes noires ont lutté, théorisé les oppressions qu’elles subissaient, articulé des stratégies de lutte sur le terrain, créé des outils comme l’intersectionnalité (en passe d’être whitewashé en France, mais toi-même tu sais, on parlera de la dépolitisation une autre fois). Nous n’avons jamais eu – et n’avons toujours pas – besoin d’une lecture occidentale pour identifier et définir nos luttes. Certaines femmes noires qui liront ces lignes le savent déjà, mais peut-être que d’autres, plus jeunes, ressentiront le besoin de savoir qu’il y a eu d’autres femmes noires avant nous qui ont lutté, et que l’on a soigneusement effacé parce qu’elles n’étaient pas trendy à l’époque.

Alors, certains vont se demander « ouais, ok, mais pourquoi tu parles d’un trait d’union pour fournir une critique sur la lecture occidentale des féminismes ? » Eh bien, tout simplement parce que les mots sont importants ; et que le mot « afroféminisme » s’ancre dans un contexte occidental qu’il est important de questionner, également. J’en avais parlé déjà ici, il y a une dépolitisation à présenter l’afroféminisme comme quelque chose de « non agressif », « intéressant », « fun » et même si notre swag est incontestable *flips afro in the air* ; nous sommes depuis quelques années dans un processus où les non-femmes noires++ sont plus préoccupés à nous nommer qu’à voir ce qu’il y a derrière. Pas que cela soit grave – parce que la productivité des afroféministes a fait ses preuves depuis longtemps – mais dans une démarche de transmissions, il me semble important, en tant qu’afroféministe, de cibler de manière pédagogique la complexité d’un mouvement présenté comme un bloc.

Afroféminisme, féminisme africain, panafricanisme… quelles questions se poser ?

 

A l’occasion de la sortie de mon roman, j’ai eu à répondre sur les spécificités de l’afroféminisme et il est toujours compliqué de rendre la notion de diversité dans le mouvement en trois petites minutes – c’est souvent le moment où je m’arrange pour dire les mots « décolonial », « misogynoir » et tous ces mots qui fâchent et qui sont – étrangement – pas trendy, lol. Mais parmi les nombreuses questions que j’ai eues, il y en a une ou deux récurrentes : « comment se positionne l’afroféminisme par rapport à l’Afrique ? » et « comment se positionne l’afroféminisme par rapport au féminisme musulman ? ». Rappelons d’abord :

  • que tous les féminismes savent parler pour eux-mêmes
  • qu’il existe des femmes noires musulmanes *OHLALAL SURPRISE CHOC STUPEFACTION
  • que c’est instaurer un autre paternalisme occidental que d’attendre que l’Afroféminisme

valide d’autres féminismes afro (ou plus largement racisés).

Là où il y a un élément intéressant dans toutes ces questions tronquées, c’est qu’elles font partie de la même pelote de laine : elles questionnent les corrélations entre les féministes de la diaspora, les rapports de force et les COURANTS. Et oui, ça peut sembler fou, mais toutes les femmes noires ne pensent pas la même chose, ne luttent pas de la même manière, etc, etc. Et comme le disait Fania : « l’important est de savoir où l’on se positionne et d’être conscients de nos désaccords politiques ».

Alors, si tu viens d’arriver dans l’afroféminisme et que tu te demandes “qui a raison ?”, saches que la question est plutôt “où je me situe dans ce mouvement ?”. Il y a une réelle nécessité de débattre en interne et à huit clos et en non-mixité, et de questionner et formuler nos positionnements au sein de l’afroféminisme (l’avantage d’être dans un collectif ou une association, c’est que ça garantit un peu le dialogue quand il est question d’établir un agenda politique, etc – de ce que j’ai pu observer, hein lol). Mais pour des personnes isolées, je pense qu’il est aussi utile de nous rencontrer pour évacuer certains thèmes ressentis comme étant à la périphérie d’un agenda afroféministe français global : la maternité, la place de la tradition, la religion, la transphobie, l’islamophobie, le validisme, la lutte contre le VIH sont autant d’enjeux systémiques qui seraient l’occasion pour les femmes noires d’en discuter. Cette rencontre serait également l’occasion de questionner la proximité de l’afroféminisme avec d’autres mouvements afro, et pourquoi pas questionner les stratégies internationales avec des afroféministes des pays du Sud. Mais bon, avant d’en faire un congrès, je travaille sur un projet qui permettrait de nous rencontrer, mais on en reparlera.

D’ici là, je répéterai ce que j’ai dit aux jeunes femmes de Clermont-Ferrand après la conf’ : on s’est tou.te.s dit à un moment « j’aurais aimé qu’il y ait ça dans ma ville », et il suffit d’une impulsion, et d’être deux, pour faire des choses.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *