Premier Maya Angelou de ma bibliothèque, et je dois dire que… je suis un peu déçue. Maya Angelou est l’une des poétesses afro-américaines les plus influentes, et avec cet essai sur une part de sa vie, je pensais vraiment vibrer à la lecture de ce livre. Et puis… pas vraiment.
Dans Tant que je serai noire, Maya Angelou relate ses années de mère noire célibataire, oscillant entre les villes américaines où elle pourrait vivre le mieux, suivie par son fils Guy. De chanteuse de cabaret en passant par responsable de la SCLC – l’association de Martin Luther King -, on suit les rencontres hasardeuses de la jeune Maya. On croise James Baldwin, Billy Holliday, Martin Luther King, Malcolm X… Vivre dans ce qui était contemporain pour Maya est un vrai parcours historique, tantôt dans l’humour avec les anecdotes de Maya, tantôt dans la gravité avec ce qu’était d’être mère d’un fils noir aux USA à l’époque, ou encore simplement femme noire.
Si le livre se lit facilement, il est tout de même inégale : plusieurs fois, j’ai voulu lâcher le bouquin, pour finalement regretter d’arriver trop vite à ma station de métro. On regrette parfois des détails peu utiles ou peu parlants, mais passons aux grands axes qui sortent de ce livre…
I. “Oh Africa” : la fascination “exoticisant” l’Afrique
Ce qui ressort de ce récit, en plein boom des mouvements antiracistes que l’on connaît à l’époque, est cette fascination, proche de l’idolâtrie, pour les combattants africains et leurs pays, par Maya – et les afro-américains. Si l’on reste dans le contexte, on est à une ère du “retour aux sources”, post-Marcus Garvey, l’Afrique comme mère lointaine… On comprend vite que cette Afrique presque fictive est souvent un moyen pour les afro-américains de pallier la ségrégation raciale dans leur propre pays. Je ne parle pas ici d’un point de vue politique, mais bien de ce qui ressort du discours de Maya. De cette fascination, plusieurs points se distinguent :
- L’entre-deux de l’Afrodescendant : j’ai apprécié cet entre-deux si typique aux Noirs occidentaux qui “retournent au pays”, soumis à des chocs culturels et aux autochtones qui leur rappellent leur statut d’occidentaux. Maya fait part de cette nouvelle “exclusion” en arrivant au Caire : son statut d’Américaine ne suffit pas à rompre la méfiance de son entourage, la rencontre avec des femmes issues de différents pays africains lui demandent d’apprivoiser d’autres cultures, et le modèle marital auquel Vus, son mari sud africain, veut la soumettre est un choc culturel latent. Son expérience rend bien compte qu’entre le rejet dans son propre pays et la méfiance de cette Afrique “terre d’accueil”, on nous attribue un “chez soi” toujours imaginaire et partiel.
- L’adoration panafricaine : il en est presque pénible de voir que cette adoration panafricaine des afro-américain.e.s pour une Afrique fictive est toujours d’actualité. De manière générale, si cet élan de solidarité part d’une bonne intention, la mobilisation des afro-américains qui entourent Maya vise davantage à défendre un idéal solidaire où le retour en Afrique sauverait le continent, plus qu’une compréhension des contextes politiques des pays. Ne soyons pas trop sévères toutefois, puisque ce “retour” est un imaginaire permettant de s’émanciper de l’Amérique blanche pour une réappropriation de leur Histoire.
II. Sexualité et corps noir, sous le joug de la politique de respectabilité
Autre ambiguité : Maya a le don de parler, sans tabou, de son statut de mère célibataire, tant par la précarité de sa situation d’artistes, vouée à prendre les seconds rôles ou les premiers jobs qu’on lui propose, et que par son rapport aux hommes. On sent l’esquisse d’une misogynoir chez ceux qu’elles quittent et qui, vexés, lui rappellent qu’elle n’est qu’une “négresse”; on sent le jugement de son fils qui ne comprend pas qu’elle le protège “tant” de cette société. Bref, la persévérance d’une femme noire dans les années 50-60 n’était pas un choix ! Pourtant, même si Maya revendique sa sexualité, il ressort toujours cette politique de respectabilité sévère, comme s’il fallait s’assumer dans le noir mais condamner au grand jour les autres femmes; qu’il s’agisse de Billy Holiday ou même du soucis du regard de l’homme sur notre sexualité. Femme de son temps, Maya porte les contradictions des femmes féministes encore empreintes par les injonctions patriarcales. Peut-être que cela explique également cette importance accorder au modèle de famille où la figure du père est forcément synonyme de stabilité, de femme morale au regard de la société, de bonne éducation pour son fils, etc.
Ce qui m’a profondément touché par contre, c’est son rapport au corps : cette manière de dire “même si je ne suis pas la plus jolie”, à la fois anodine et si propre à une beauté noire dont les traits sont dénigrés; mais aussi à la célébration de la nudité et du sexe, son amour des amants et son humour si sympathique.
Peut-être est-ce pour cela qu’on s’attache : parce que son imperfection nous rappelle tant nos insécurités, et qu’on en éprouve une certaine tendresse.