Femmes Noires et Travail: le surmenage & la limite du “Deux fois plus”

Si vous me suivez un peu sur les réseaux sociaux, vous avez dû voir la campagne que l’on a lancé il y a un mois, avec Marie Dasylva : la journée Femmes Noires et Travail. Il s’agit d’une journée dédiée aux femmes afrodescendantes ++  souhaitant échanger sur leurs expériences, être conseillées et accompagnées par des professionnelles (une psychologue spécialiste des macro et micro-agressions dans le monde du travail, et des violences systémiques, ainsi qu’une juriste informant sur les solutions juridiques contre les discriminations).

Il nous reste 14 jours pour récolter la somme suffisante pour réaliser cette journée, et à cette occasion, je souhaite me joindre aux nombreuses femmes afrodescendantes qui ont animé le compte Twitter Femmes Noires et Travail avec leurs témoignages, et ajouter ma modeste contribution.

C’est un projet qui me tient à coeur, et c’est un post plus personnel qui va suivre. En effet, j’ai été rattrapé par ma propre expérience, et je pense que le premier geste est de mettre des mots sur les difficultés que l’on rencontre, pour atteindre un certain (self-)care. Bref. Venons-en au fait. Cet article ne reposera pas tant sur des liens annexes  (tous les articles “care” du blog sont accessibles via la barre de recherche à ta droite, petit canaillou).

Lecteur, lectrice, nous allons parlé de moi – erk, seigneur. Il est parfois plus facile pour moi de théoriser et de trouver des articles qui m’ont aidé mais je pense que la première difficulté est déjà de reconnaître que ça nous est arrivé.

I. “Tu devras travailler deux fois plus que les autres”

Si vous me suivez sur Twitter, vous avez peut-être vu que mes études se sont achevées avec un mémoire à finir d’urgence; en parallèle d’un boulot à temps plein, l’été dernier. Après tout ça j’ai eu mon diplôme, préparer l’université populaire, chercher du boulot avant d’en retrouver un; boulot à temps plein que j’ai cumulé avec un stage à temps partiel. Ajoutez à cela les articles, les interventions, que je prépare au compte goutte, plusieurs petites choses à côté, et vous avez là mon quotidien depuis plus d’un an.

Au fil des années, j’ai appris à jongler et superposer une certaine tonne de travail. Je suis consciente de la quantité que ça représente. J’y ai dit “oui”, parfois par contrainte (ô doux compte en banque), parfois par volonté ; et toutes les choses que je fais font partie d’un but précis, pour la réalisation de mes projets professionnels – qui n’existent pas vraiment en France. Disons-le: J’ai compris très jeune avec mes parents qu’il me faudrait bosser deux fois plus pour avoir la moitié de ce qu’un homme blanc peut avoir.

En femme noire que je suis, j’ai été élevée avec le fameux “tu devras bosser deux fois plus que les autres”, donc la charge de travail en soi ne m’a jamais trop effrayé. Du coup, j’ai pris l’habitude de prendre tout ce qu’il y a à prendre maintenant car je sais que j’en aurais besoin pour le futur – futur très proche. Bref, je ne me plaignais pas, et je suis encore reconnaissante d’avoir tant d’opportunités, même si elles sont difficiles.Telle une Olivia Pope, j’ai toujours pensé “I handle this”. “It’s handled”. Même si ça supposait travailler le matin sur le trajet de mon bus, à la pause de midi, encore un peu le soir, et un peu le week-end, “I handle this“.

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Ca, c’était il y a quelques mois. Et puis, un jour au boulot, j’arrive un matin avec une migraine. Rien d’alarmant, je prends un petit comprimé comme d’habitude. Mais ça ne passe pas. Je mets ça sur le compte de la faim, mais passer le déjeuner, ça empire. Maux de dos, estomac noué, je commence à avoir des sueurs froides. Je me lève pour aller prendre un peu d’eau, et là… Vertiges. Et comme un malaise, ça équivaut dans ma tête à un évanouissement, je me dis “naan, ça doit être un virus”, je retourne bosser. Il a fallu qu’une collègue me dise de rentrer chez moi, en me voyant devenir pâle – sans vouloir faire un mauvais jeu de mot. Le lendemain, je me repointe au boulot, sous les yeux surpris de mon staff, et malgré les courbatures, une perte de concentration et la tête lourde, j’ai plus d’estomac noué. Donc, ça va mieux… non ? Non.

Le soir, je vais dîner chez des amies. L’une me dit que je n’ai pas l’air malade et, effectivement,  je me sens mieux. Mes courbatures sont moins douloureuses, je rigole avec elle, même si je suis toujours fatiguée. Je leur raconte mon malaise et la possibilité d’une angine. C’est là que l’une d’elles me parle de “burn out”. Elle n’en démord pas, il faut que je me repose.

Comme beaucoup, je pensais que la question du surmenage ne concernait que les gens ayant travaillé sur une longue durée (genre dix ans de carrière quoi), et comme je n’étais pas moralement déprimée; que, pour avoir fait une dépression dans le passé, je m’estimais plus que bien ces jours-ci, j’ai un peu refoulé l’idée. Avec le recul, je réalise que j’avais aussi cette idée de “je ne peux pas me permettre d’aller mal, j’ai pas le temps”.

C’est en travaillant le week-end que j’ai compris que ça n’allait pas. Mais alors, vraiment pas.

Je me suis réveillée un matin et mon corps ne voulait plus se lever. J’avais des courbatures comme si je ressortais des Jeux Olympiques. Respirer me faisait presque mal au dos. Si mon mental était prêt à travailler, mon corps ne voulait plus. Ce n’était pas un virus, je n’étais pas enrhumé ou autre. Les comprimés, les étirements et le sommeil ne suffisaient plus. Non, c’était bien mon corps qui disait “stop”. Et il n’y a rien de plus frustrant que d’être là à penser “je peux le faire, je vais bien”, dans un corps épuisé, courbaturé. Toute la fatigue, les coups de stress et les efforts, je le somatisais d’un coup.

Et comme si ça ne suffisait pas, je me disais que mon corps était “faible”, que “je n’aimais pas être comme ça”, et que je devais respecter les deadlines de mes différentes tâches, peu importe comment. So wrong.

Il a bien fallu que je me rende à l’évidence: je devais me reposer. Mais, vraiment, me reposer, ce qu’on a tendance à oublier de faire.

II. Se reposer deux fois plus.

Effectivement, je pensais que les week-ends, même chargés d’activités fun, étaient du repos puisqu’ils n’étaient pas liés au travail. Je pensais aussi que rédiger des articles, faire des recherches, lire, etc, ce n’était pas “trop fatiguant” puisque j’en ai l’habitude. Bref, je pensais que le repos, tel que je le concevais, était suffisant. Et j’avais tort. Voilà quelques points qui pourront aider, je pense, ceux et celles qui flirtent avec le surmenage, ou la fatigue (oui, car inutile de dire que ça ne sert à rien d’attendre de s’effondrer pour s’y mettre).

  • Accepter : accepter que ça ne va pas est difficile, surtout qu’on a tendance à minimiser. “Ca ne va pas trop mais ça va passer”. Nope. Nope. Nope. Accepter qu’on ne peut pas tout faire, c’est déjà accepter qu’on n’est pas un super héro, que nous ne sommes pas parfaits et que faire de son mieux, ça suppose aussi que ce n’est pas une ligne ascendante, mais bien bien des montagnes russes. J’ai demandé un délai pour rendre les projets que j’avais, je suis allée chez le médecin (je déteste ça, rah) pour dire que ça n’allait pas. Et je pense que, d’une certaine manière, une petite voix me disait que j’étais faible et douillette de m’arrêter pour si peu. Si tu me lis, cette voix là ne nourrit pas ton corps et ne soulage pas les courbatures, alors jettes-là à la poubelle.
  • Pleurer : jeune diplômée naïve que j’étais, je pensais que pleurer à cause de surmenage, c’était pour les gens “qui travaillaient depuis très longtemps”, alors je ne te raconte même pas quand j’ai rencontré mon ami Chômage, qui m’a présenté à son copain Pôle Emploi, et que j’ai pleuré parce que je me sentais nulle. Mais ceci est une autre histoire. L’acte de “pleurer” est assez stigmatisé dans le monde du travail où l’on est censé prendre sur soi, se plier indéfiniment au “C’est le monde du travail,hein !*sourire et haussement d’épaules*” (surtout quand c’est de l’exploitation).
    Pleurer, ce n’est pas être plus faible, c’est être humain. Pleures un bon coup, tu n’es pas seul.e.
  • En parler : je ne me remercierai jamais assez mes amies de me dire “reposes-toi”et de m’y avoir forcé. Trouver les bonnes personnes pour dire ça va pas n’est pas toujours facile, surtout quand d’autres seraient plus enclin à répondre “tu exagères” et que – moi, la première – on sous-estime l’impact du stress et de la fatigue sur le corps. En parler, c’est aussi comprendre qu’il n’y a pas de honte à avoir, et c’est aussi pour cela que j’écris cet article.
  • Dormir : dans le silence ! Pas de télé allumée en fond, pas de musique, mais bien dormir en silence. Les parisites sonores de notre environnement contribuent au trouble du sommeil et de l’attention. Notre corps veut du répit, donc la moindre distraction ne passe pas inaperçu. Dormir, et même s’allonger le plus longtemps possible, c’est ce qui va accorder du répit.
  • Faire une chose à la fois : vous voyez les 56 onglets ouverts sur votre ordinateur ? Fermez-les (bon ok, mettez-les en favoris). Faire une chose à la fois, c’est aussi prendre un rythme posée pour digérer toutes les informations que l’on avale à la seconde. Regardez une série, sans jongler entre la boîte mail et Twitter, c’est plus agréable.
  • Mettre les réseaux sociaux de côté : On se sait. Des retraites loin des réseaux sociaux, c’est choisir son moral, son corps et son bien-être.  Éviter les clash, les nouvelles pessimistes pour un moment, faire une pause, éviter les tweets misogynoiristes … C’est ça aussi, se choisir.
  • Travailler et faire des pauses : pour trouver l’équilibre entre le repos et le travail qui reste à faire, je me force à faire des pauses. Et ça va beaucoup mieux. Bosser le matin sur un projet, puis faire une pause de deux ou trois heures, travailler sur un autre projet, ça aide.
  • Manger mieux : en plus d’être gourmande, j’ai tendance à combler mon stress avec la nourriture. Par manger mieux, je ne parle pas tant de manger sain, mais bien de s’écouter et de ne pas remplir un estomac déjà lourd. On se sent déjà plus léger – poum,tchak.
  • Prendre soin de soi et cocoon : il n’y a pas vraiment de schémas, mais ça peut être se balader dans le quartier, se faire un bon bain, faire une sieste… Vraiment se reposer.

QU’EN EST-IL AUJOURD’HUI ?

J’ai mis de l’ordre dans ma manière de procéder, d’aménager mon temps, etc. Je reçois beaucoup de mails grâce au blog, mais j’apprends également à dire non et à mettre un ordre de priorités dans toutes ces choses. Bon, maintenant, je cherche du taff, donc bon. Il y a pas mal de choses sur le monde de travail  que j’aimerais aborder (le fait d’être une femme noire, le fait de jongler entre engagement militant et vie professionnelle, le travail “non reconnu” etc) et en parlant avec Marie, et d’autres de nos intervenantes, j’ai réalisé que nous avions tellement d’histoires différentes qu’il était important de faire un évènement.

C’est pourquoi je suis assez émue de voir que,  après beaucoup de travail de petites mains volontaires et le relais des afroféministes, notre journée FEMMES NOIRES ET TRAVAIL a récolté la somme attendue !!! Il reste donc 15 jours pour récolter encore des dons qui seront destinées à aider financièrement des participantes vivant hors de la région parisienne. Alors, MERCI ET RENDEZ VOUS SUR NOTRE NOUVEAU SITE.

 

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