Vous avez été nombreuses.x à apprécier cette interview, en voici la transcription ! Merci à Gaëtan pour cette transcription bénévole ! Si vous souhaitez proposer des sous-titres ou transcriptions de vidéos, n’hésitez pas ! C’est par manque de temps que je ne peux pas tout faire.
Mrs Roots :
Merci de m’accueillir dans votre magnifique bibliothèque déjà !
Si on est ici aujourd’hui c’est pour parler de votre roman, Négropolitude, publié chez Harmattan le mois dernier.
Je me suis intéressé particulièrement à ce livre qui questionne et suit la vie de Béatrice, jeune femme antillaise qui se questionne par rapport à son identité, mais aussi son passé. Vous allez avoir l’occasion de nous en parler. Et surtout pour commencer je voudrais revenir sur votre thèse, Stratégies de survie, dans laquelle vous comparez le travail de Toni Morrison, Edwige Danticat et aussi de Jamaica Kincaid. La plupart des thématiques tournent autour de la femme noire. Pouvez vous nous en dire plus et nous dire comment vous avez choisi ce sujet pour cette thèse?
Josette Spartacus :
J’ai commencé à m’intéresser à la littérature afro-américaine et afro-caribéenne, c’est quelque chose qui m’a sauté aux yeux. Ces écrivaines-là étaient justement en train de parler de ces stratégies. Après en avoir lu des dizaines, je me suis rendu compte que systématiquement elles mettaient en scène des caractères plus jeunes qu’elles, la jeune génération, et que dans cette jeune génération les stratégies qu’elles utilisaient passaient finalement par le fait de ne pas enfanter, c’est à dire que sur les 9 romans que j’ai choisis pour faire cette thèse, il y avait 8 romans dans lesquels la jeune génération décide de ne pas enfanter, chez les femmes.
Et je me disais que cette stratégie était née des douleurs, des avatars de la traite transatlantique, mais aussi de l’éducation, de la relation à la mer, et que c’était des stratégies de non-vie, comme si elles disaient : « ça s’arrête là, on va pas continuer à donner naissance à des enfants pour qu’ils aient tout ce poids à porter toute leur vie », ou bien alors « j’ai décidé de vivre pour moi et moi toute seule, et donc du coup ça va s’arrêter à moi ». Comme si leur stratégie de survie partait du principe qu’on ne donne plus vie. « On ne va pas au delà de ça, ça s’arrête à nous ». C’est ça qui m’a fait m’interroger sur toutes ces œuvres, qui sont récentes malgré tout pour essayer de fouiller ça.
Mrs Roots :
Pourtant votre roman s’ancre dans cette longue tradition de la transmission. Avec votre personnage Béatrice on a encore une femme noire qui s’interroge sur la mémoire et sur ce qu’elle va laisser derrière elle. Est ce que vous pouvez nous en dire plus sur votre roman ?
Josette Spartacus :
Tout à l’heure vous avez dit que Béatrice est une femme antillaise. Elle est d’origine antillaise et elle vit en métropole, d’où le titre Négropolitude. On est là centré sur un territoire métropolitain, pas tout à fait aux Antilles, pas aux États Unis non plus. Il faut faire une différence entre ce que une femme noire peut vivre aux Etats Unis et ce qu’elle peut vivre en France. Les stratégies de survie passent évidemment par la mémoire, parce que quand on est comme ça sur un territoire où on est minoritaire en tant que noir, il s’est passé quoi avec sa propre mémoire, il s’est passé quoi avec la mémoire de ses propres parents. Il y a une autre mémoire qui se crée, parce qu’on vit sur un territoire différent de celui des parents. Il y avait urgence à transmettre quelque chose qui est en train de se fabriquer. Etre négopolitain c’est assez récent, ça a un siècle. Les stratégies dans lesquelles on est obligés de vivre, ce sont des stratégies qui ne sont pas encore tout à fait explorées. Ca a besoin d’être dit, ça a besoin d’être transmis. Béatrice a 2 filles, ceci doit être transmis à ses propres filles.
La première question qui se pose quand on voit votre livre, c’est le mot Négropolitude, qu’est ce que c’est, d’où ça vient et qu’est ce que ça recouvre ?
Josette Spartacus :
Il y a un peu plus de 30 ans, c’est un terme qui m’a été jeté à la figure aux Antilles d’ailleurs en fait par quelqu’un qui voulait m’insulter, et je l’ai pris pour une insulte. Je me suis rendu compte au fil des années, et c’est surtout le travail de la thèse qui m’a conduite là, que finalement ce terme là n’était pas une insulte, qu’en fait il avait le mérite de sa fonction, c’est à dire d’expliquer ce que j’étais. Que au lieu de l’utiliser comme une insulte, au contraire il fallait lui donner sa raison d’être, et l’utiliser comme un terme une situation, une réalité. Un négropolitain n’est pas un métropolitain. Un négropolitain n’est pas un antillais compétent, mais il est tout ça à la fois, et que c’est une réalité à laquelle il faut s’affronter, qu’il faut accepter. Evidemment, c’est lié non seulement à la traite mais aussi au colonialisme, à plein de choses, à un monde qui bouge. Il s’agissait dans ce roman d’appeler un chat un chat, de ne pas jouer sur les termes. Quand on dit à un chat qu’il en est un, il ne le prend pas pour une insulte. Sortir de cette stigmatisation qui n’est pas trop porteuse de fruits.
Mrs Roots :
Naturellement quand on entend Négropolitude on a envie de le mettre en parallèle avec la négritude. Est-ce que vous parleriez de la négropolitude comme un héritage ou toujours dans cette transmission, comment on peut le situer par rapport à la négritude ?
Josette Spartacus :
Pour moi Négropolitude est une fille. Ce n’est pas une cousine, c’est une fille de la négritude. Il y a quelque chose, un indice générationnel. Je n’aurais pas pu inventer ce terme de négropolitude s’il n’y avait pas eu ce terme de négritude auparavant. La négritude telle que l’a expliqué Césaire ou Sengor, ça s’est fait un moment où ça devenait obligatoire. Une réflexion sur ce qu’est être noir. Etre noir ce n’est pas forcément être un négro. Réfléchir sur ce qu’il y avait de positif à être nègre. Finalement négropolitude c’est essayer réfléchir à ce qu’il y a de positif à être négropolitain, ou négropolitaine plus exactement. La filiation elle est là. J’ajouterais autre chose peut être, ce terme pour moi résonne avec un autre mot, c’est solitude. Ca rime. Ce que n’était pas le concept de la négritude.
Mrs Roots :
Vous êtes martiniquaise, une femme. Quand on voit un peu la littérature française et aussi la littérature antillaise, on sort souvent des grandes figures masculines et on cherche les femmes dans cette littérature. Est-ce que pour vous écrire ce roman c’est aussi – vous parlez aussi des femmes, votre personnage principal est une femme – est-ce qu’il y a réappropriation aujourd’hui de cette littérature en tant que femme antillaise. Y-a t’il un enjeu que vous sentez à travers votre roman ?
Josette Spartacus :
Dans une certaine manière je me sens la fille de Maryse Condé, la fille de Simone Schwarz-Bart,
la fille de mes aînées, celles qui ont écrit avant moi. Mais de fait elles sont très peu nombreuses. Elles sont plus nombreuses sur la caraïbe anglophone, elles sont aussi plus nombreuses chez les afro-américaines. Mais sur la caraïbe francophone on les compte sur les doigts d’une main. Il y a aussi quelqu’un qui s’appelle Gisèle Pinot qui fait des choses extraordinaires, et puis d’autres personnes qui ont peu produit comme Thérèse Leopold qui sont superbes. A part l’expliquer d’un point de vue féministe, c’est à dire l’absence de parité homme-femme y compris dans ce domaine là, je ne saurais pas expliquer pourquoi il y a eu tant d’écrivains antillais, et si peu d’écrivaines antillaises. C’était peut être aussi l’appel de quelqu’un comme Césaire, qui a été un peu le père de tous ces gens là, même si quelque fois ils l’ont un peu chatouillé et donc ça faisait mal. Peut être aussi qu’il y a une langue qui est une langue masculine, le concept de créolité, de créolisme, ce sont des concepts qui ont été mis au point par des gens comme Chamoiseau, Confiant. Tout ça c’est un univers masculin, historiquement il y a eu Césaire. Pour la femme antillaise, il y a une place qui restait vacante. Cela signifie aussi que l’image véhiculée sur la femme antillaise, elle n’est pas tout à fait l’image que véhiculerait une femme antillaise sur ses congénères. Il y a des choses à faire de ce côté là.
Pour revenir un peu sur votre roman, pouvez vous nous en dire un peu plus sur l’histoire de Béatrice sans tout révéler ?
Il faut le lire ! Béatrice c’est quelqu’un qui est blessée. Elle vient d’être abandonnée, et puis tout d’un coup elle se dit que si elle a été abandonnée pour la x-ième fois dans sa vie, c’est parce qu’elle est porteuse de quelque chose qu’elle n’avait jamais voulu voir, c’est à dire le racisme ambiant : en fait elle a été abandonnée parce qu’elle est noire. A partir de là, je vais dire qu’elle rentre dans un espèce de délire, d’hystérie au sens freudien du terme. Ca part dans tous les sens. Pour finir, toutes ces choses font sens. Elle fait la rencontre d’une femme blanche qui a vécu des choses horrifiantes qui lui raconte tout ça. C’est à partir de là que Béatrice se rend compte qu’il faut s’apaiser un peu et mettre les choses à plat et chercher un peu d’apaisement. Elle le trouve grâce au conte, grâce à la fable, grâce à l’imaginaire. J’ai voulu ça. Pour sortir de grands traumas il faut une force créatrice. Il faut créer un endroit dans on est le centre.
En parlant de création on connaît déjà un peu les oeuvres de Leonora Miano qui justement a amené le terme d’afropéen, et la nécessité d’une littérature afropéenne. Est-ce que vous vous situez dans cet élan et dans cette urgence de la créer ?
Tout à fait. Quand on regarde les travaux de Leonora Miano, par exemple son roman Les Saisons de l’Ombre, c’est d’autant plus crucial et important qu’elle donne à voir des choses que la majeure partie des gens ignorent. On est là dans un acte créateur, quelque chose qui permet à l’afropéen et l’afropéenne d’exister, et tout en étant de la transmission c’est aussi de l’apprentissage. Ce sont des pans entiers de l’histoire non seulement africaine mais aussi européenne qui se développent. C’est comme être à l’école de nouveau. C’est extrêmement important de livrer ces choses là. On est dans ce moment là, où les choses peuvent être enfin dites.
Est-ce que vous pensez qu’il y a un tournant qui se fait, une sensibilité, un élan qui permet de mettre aujourd’hui les choses sur la table ?
Oui. Evidemment le monde n’est pas parfait, mais ça avance. Je dis souvent autour de moi que il y a tout de même des choses qu’on doit dire. Je préfère nettement vivre au 21ème siècle qu’au 19ème siècle par exemple. On voit bien que ça avance. Même si j’ai en tête des choses du style : “On sait que t’aimes bien valser. T’aurais pas aimé vivre au temps des bals viennois ?” Et je dis non. Je sais très bien que je n’aurais pas pu y être en tant que noire. Même si ça avance, je sens bien qu’il y a des choses dans mon histoire qui sont clivées. Je n’oublie pas cette histoire, mais très concrètement, il fait bon vivre au 21ème siècle. Les choses peuvent se dire parce qu’on est au 21ème siècle. C’est un message très positif que je donne là. Je ne veux pas donner dans le misérabilisme. Ce qu’il faut dire, c’est que ça avance, il faut que ça avance encore un peu, donc il faut aider à ce que ça avance.
Si je vous dis héritage ?
Ah. Plusieurs choses. Evidemment il y a des colocations. Par exemple héritage transatlantique. Mais je vais presque pleurer. Je parlerai de l’héritage de mes parents.
Est-ce qu’ils ont pu vous apporter sur l’histoire à transmettre ?
Oui. Sur ce que c’est d’être un être humain à part entière. Parce que finalement l’esclavage n’est pas si loin que ça. Mon père a vécu ça. En 39-45 il devait avoir 14 ans. Les instituteurs ont été mobilisés, donc il s’est retrouvé sans école et sans certificats d’étude. L’instituteur est parti avant que les épreuves n’aient lieu. Il a travaillé sur des plantations sur un tracteur. Il était tellement petit qu’il était obligé de rester debout sur la pédale du tracteur dans les champs de canne à sucre, sous le soleil évidemment, sans être payé. Quand sa mère est allé voir le beké du coin en lui disant “faudrait peut être songer à payer mon enfant”, le beké a répondu “enlevez votre main de ma poche”. Mes parents ont acquis quelque chose à la sueur de leur front, savaient ce que c’était que d’être un être humain, de le devenir. C’est une transmission inouïe, c’est un héritage. Je suis professeur, c’est quelque chose que je transmets à mes élèves, quels qu’ils soient. Leur faire se rendre compte qu’être un être humain à part entière, c’est pas donné. C’est quelque chose d’inouï, un bien précieux, quelque chose qu’il faut savoir sauvegarder.
Pour terminer cette interview, si vous aviez quelque chose à dire à une jeune femme noire qui regarde cette interview ?
Soyez vous même. Soyez votre propre centre. Trouver son centre. Ne pas être à la marge de soi même. Pas même la périphérie.
Merci beaucoup !
De rien.