Lors du salon du livre de Genève, auquel j’ai pu participer le week-end dernier, j’ai pu assister à la conférence “De la race au Maghreb” sur le racisme anti-noir en Afrique du Nord, avec l’autrice et chercheuse tunisienne noire, Maha Abdelhamid et Jean Bofane, auteur congolais, modérée par Pamela Ohene Nyako, fondatrice d’Afrolitt. C’est sur l’invitation de la présidente du collectif de femmes racisées Faites des vagues que j’ai pris connaissance de cette rencontre, et c’était un immanquable ! Vous trouverez le livetweet corrigé, réédité et un peu sourcé, que j’ai fait le jour-J ci-dessous. Bonne lecture !
Quand la modératrice Pamela Ohene Nyako interroge la chercheuse Maha Adbelhamid sur ses travaux sur les minorités noires en Afrique du Nord, celle-ci répond : “Je n’aime pas parler de minorités pour parler des Noirs dans le monde arabe, alors qu’il s’agit de l’Afrique, où nous sommes une majorité”.
M. Abdelhamid parle de l’origine des peuples noirs dans l’Afrique du Nord, à la fois liée à des migrations au fil des siècles, mais aussi à l’esclavage dans les pays nord-africaisn.
J. Bofane, sensible à l’actualité, a écrit son dernier roman La Belle de Casa sur la vie d’un homme congolais au Maroc. Par ce texte, il voulait aussi aborder les rapports à l’africanité. Bofane aborde la dimension systémique des cas de négrophobie, et des circonstances similaires entre les incidents recensés (match de football se terminant en altercations violentes à l’égard de subsahariens; couples mixtes peu acceptés, etc).
Maha Abdelhamid revient sur la question de l’esclavage et le manque d’études sur cette question dans le monde universitaire tunisien. Elle mentionne une thèse en 2009 d’une chercheuse (Ines B.) qui s’est concentrée sur une ville au sud ouest de la Tunisie, car il y a une grande concentration de communautés noires dans des villes bâties par les esclaves, particulièrement autour des oasis et des routes de la traite. Abdelhamid dénonce le manque de détails sur ces périodes historiques et le manque d’universitaires noirs en Tunisie pour traiter ces questions.
Adbelhamid parle également d’un militant et chercheur tunisien noir ayant également côtoyé Fanon : Slim Merzouk. Il est arrêté plusieurs fois par la police et s’est fait interné 38 ans dans un hôpital psychiatrique. La chercheuse prépare actuellement un documentaire sur lui. Elle parle également de l’abandon de la gauche tunisienne sur les questions de négrophobie dans le pays : “Pour eux, il n’y a pas de problèmes de racisme”. C’est la raison pour laquelle elle est partie, avec plusieurs chercheurs, sur e terrain pour recenser les cas de négrophobie. Ce travail est à l’origine du livre “Être noir, ce n’est pas une question de couleur”, un rapport d’enquête sur la négrophobie en Tunisie.
Abdelhamid ajoute que les tunisiens noirs, victimes de négrophobie, sont mis en opposition à une forme de “blanchité” dans le contexte tunisien, souvent revendiquée. Elle explique qu’il y a un enjeu sur le traitement de la négrophobie vis a vis des étrangers subsahariens, qui sert parfois à invisibiliser la négrophobie visant les Noirs tunisiens, ou noirs nord africains. Cette même invisibilisation permet au gouvernement de ne pas s’y pencher.
Bofane demande à Abdelhamid comment est vécue l’africanité des Tunisiens noirs au sein de leurs familles : pour la chercheuse, il y a une conscientisation tardive de l’africanité car ils se pensent d’abord tunisiens, noirs, musulmans et arabes. Cela s’explique notamment par une distanciation avec l’Afrique subsaharienne inculquée dans les familles, où l’on préfère penser l’identité autour de la Méditerranée, que de se réclamer du contient. Toutefois, elle note que cela évolue de plus en plus. Maha Abdelhamid évoquera aussi le vocabulaire utilisé en Tunisie pour nommer les personnes noires, basé des termes racistes: “saktala” qui signifie “la plus mauvaise création de dieu; ou encore “oussif” qui veut dire “esclave”, etc (à noter que l’orthographe de ces mots arabes est une retranscription hasardeuse de ma part, basée sur la phonétique).
Une personne du public demande à Maha Abdelhamid s’il y a une coalition politique entre les Noirs d’Afrique du Nord pour une lutte contre la négrophobie sur le continent, et elle explique que c’est en projet, notamment via les réseaux sociaux, mais que la mise en place de ces coalitions reste difficile. Les femmes restent néanmoins le plus actives dans cette organisation politique.
Une personne du public explique aussi que cette conversation touche également la question de l’arabité noire, notamment dans le cas de la Mauritanie.
Bofane brasse la question de l’arabité, de berberité, des Amazighs, et que c’est un débat complexe qui commence à s’ouvrir sur les différentes identités du continent.
Pour aller plus loin, vous pouvez le rapport d’enquête auquel Maha Abdelhamid a contribué :