Le Réseau – Afroféminisme Archives
Mon père garde tout.
Des livres aux pages jaunies, avec la côte grignotée par la moisissure, parfois qui se délitent. Il voyage même avec d’énormes albums photos des années 90. Il a fallu quelques années avant que je comprenne que mon père avait une nature d’archiviste. Même si les photos sont floues, que l’encre tourne, que la page transparente a égrainé un des visages, il faut tout garder. J’ai pris l’habitude d’enregistrer mon père, tandis qu’il m’explique qui est telle tante, ce qu’elle a fait, etc, parce qu’il y a toujours ce moment où un souvenir, ou une anecdote va ressurgir; une de ces histoires qu’il pense m’avoir déjà dites. J’ai décidé de prendre exemple sur lui, et de commencer à prendre des photos de ces afroféministes que je rencontre, qui font, qui créent, qui s’organisent, toujours dans cette démarche de ne pas être effacé. Je l’avais commencé avec une série d’interview filmées sur ma chaîne Youtube : des entretiens avec des femmes afroféministes, que j’ai aujourd’hui envie d’étendre aux femmes afrodescendantes militantes, se réclamant d’autres appellations ou non. J’ai envie de photos, et d’écrits pour ce petit travail d’archiviste et je suis heureuse de le poursuivre, avec cette interview du Réseau.
Comment a commencé le Réseau ?
Josée, présidente de l’association : Le Réseau a été créé il y a un an . L’idée était de créer un espace où la femme afrodescendante est valorisée, pouvait avoir plus de pouvoirs et plus de visibilité . J’avais assisté à Nyansapo qui m’a beaucoup inspirée. Je me suis dit que c’est possible d’être une femme noire, d’avoir plus de visibilité. Voir qu’on pouvait devenir Présidente de la République (rires)
Comment ça s’est passé quand tu en as parlé à ton entourage ? Quel accueil a reçu ton projet ?
Josée : C’était très difficile pour moi parce que qui dit femme noire, dit qu’on s’adresse à une communauté qui a toujours été méprisée, et quand tu arrives avec ce projet, tu forces les gens à sortir de leur zone de confort. Quand tu viens pour les valoriser par exemple, on te perçoit comme un imposteur : qu’est-ce qu’elle veut faire derrière ? est-ce qu’elle a un intérêt derrière ? C’est difficile de faire changer les schémas de pensée des personnes. Du coup, au départ, ça n’a pas été bien reçu. Quand tu fais comprendre à des gens qu’ils ont de la valeur, tu te fais parfois agressé pour l’avoir dit tout haut, parce que ce n’est pas comme ça qu’iels ont été éduqués.
Et du coup, qu’est ce que vous cherchiez à apporter avec le Réseau ?
Jessy : Moi, quand je suis allée au premier meet-up, je cherchais une sorte de sororité, des personnes qui puissent me comprendre sur bien des points. Certes, j’ai ma soeur mais elle vit sur Paris, et j’ai des ami.e.s à Lyon, mais mon but était vraiment d’élargir ce groupe de personnes, et de pouvoir discuter de ces problématiques sur les femmes noires, sans qu’on me dise que c’est ségrégationiste, qu’on exagère, etc. Du coup en regardant sur Facebook, je suis tombée sur Le Réseau, j’ai vu les évènements proposés et je me suis dit “c’est ce qu’il me faut”.
Thécia: C’est vrai que quand je suis arrivée sur Lyon en 2010, ça m’a manqué de pouvoir faire des activités en dehors de ce qu’on attend de nous, l’habituel métro-boulot-dodo, et c’est aussi ça la force du réseau : de proposer des activités intellectuelles, comme le club lecture du Réseau, des discussions comme “Qu’est-ce que la Femme noire aujourd’hui ?’, ‘Comment construire la parentalité en tant que femme noire ?”, de pouvoir se poser entre femmes noires et de partager les problèmes que l’on a dans une population majoritairement blanche. Juste se retrouver et en parler, c’est déjà libérateur. Après y a toujours une appréhension de se confier à des inconnu.e.s, mais
Alessandra : Moi je suis arrivée en tant que jeune fille au pair en France, j’étais dans un milieu blanc. Et le premier problème est apparu quand il a fallu trouver au supermarché des produits pour mes cheveux. A qui je pouvais m’adresser pour le savoir ? Pour acheter des choses de base ? Et il y a aussi le fait qu’être une femme noire en France, c’est différent du fait d’être une femme noire au Brésil. Ca a excité ma curiiosité d’aller chercher et d’en savoir plus sur l’expérience de chacune; car au Brésil – comme dans d’autres pays – on a cette vision de l’Afrique comme “un pays”, un bloc, et c’est à moi de faire le travail d’en apprendre plus, de rencontrer d’autres personnes pour déconstruire ça.
Comment c’est d’avoir un Réseau de femmes afrodescendantes à Lyon ?
J. : Ça demande beaucoup d’énergie, car il faut aller chercher les personnes une à une, car tu peux avoir des gens intéressés sans qu’ils veuillent forcément s’investir. Surtout qu’on sait que ça représente du temps et de l’énergie, et que les femmes noires n’en ont pas forcément beaucoup, parce qu’elles ont souvent les jobs les moins rémunérés, et pourtant très chronophages. Personnel de ménage, aide à la personne, etc… Donc il faut les chercher une à une, faire comprendre aussi les intentions du réseau, en sachant que c’est le début. Je pense aussi que, vraiment, faire vivre une association, c’est faire des relations qui puissent agrandir le réseau d’afrodescendantes. Je suis convaincue que les afrodescendants ne réagissent pas de la même manière que les autres publics. Il faut être proche d’eux, il faut aller se mouiller, se montrer, quelque soit la réaction que t’obtient. C’est pour ça que j’essaie vraiment d’être proche des gens, de connaître leur réalité, et pas d’être dans ma tour d’ivoire. C’est pas toujours évident, mais quelque soit la personne en face de toi, qu’importe sa réaction t’as eu le courage de créer ce lien personnel avec elle et de la regarder dans les yeux. Pour moi, c’est une preuve de respect. Je t’apprécie, je t’apprécie pas, peu importe, je te respecte. Pour moi, c’est aussi ça l’afrodescendance. Même s’il y en a qui arrivent via les réseaux sociaux, il y a toujours une rencontre.
Thécia: Faut aussi montrer l’importance aux choses qui nous touchent, créer du lien car on a tendance à beaucoup se replier. D’abord, parce qu’on a beaucoup de problèmes à gérer, mais aussi on est méprisés. Donc c’est important de désamorcer la méfiance, et surtout de rappeler qu’on propose des espaces où on n’est pas obligé de parler de racisme.
Quels retours avez-vous eu sur Lyon quant à vos activités ?
Jessy : Moi ça fait pas longtemps que je suis dans l’assocation, mais Jo’ connaît beaucoup de gens, ce qui facilite nos évènements. Mais il est arrivé par exemple qu’on loue une salle attenante à une église,qu’un homme blanc vienne avec ses gros sabots pour nous dire “ah ben bonjour ! Je vois que vous êtes réunies entre femmes qui…aiment le thé”. Déjà, c’était un espace entre femmes noires parlant de la confiance en soi, et t’as un homme blanc qui débarque, ni d’Eve ni d’Adam.”Ah oui, faut faire attention hein, les Africains disent que les Français sont communautaires hein, mais trois heures après, ils sont plus communautaires que nous et ils restent entre eux”. On était toutes tendues, prêtes à lui répondre. Et là il nous dit qu’il était le prêtre de l’église d’à côté et qu’il “voulait voir comment ça se passe”…
Josée : Le racisme est présent, mais le but du Réseau est justement de créer des espaces où les femmes puissent s’exprimer en liberté, mais aussi un lieu de puissance, qui nous permettra de rayonner. C’est bien de parler de racisme, mais aussi de nous mettre au centre des discussions, avec l’empowerment et du développement personnel.
Thécia : C’est donner des billes à des personnes qui se sentent démunies parfois, dépassées, devant des réflexions qu’ils peuvent entendre, pour se défendre ou pour s’exprimer sans que ça ne leur porte préjudice, quoi. Après on a eu également des réactions lorsqu’on a voulu apporter notre aide à des personnes migrantes. On est allé sur des camps de migrants, pour les soutenir, et on s’est rendu compte au contact d’autres associations que certaines d’entre elles s’approprient cette cause, qui repose quand même sur le malheur des autres quoi. Alors que nous, on veut apporter notre soutien, même si on n’a pas les mêmes ressources que ces grandes associations. Alors qu’on pourrait s’allier, c’est chacun dans son coin, y a une vraie hostilité.
J. : C’est vrai que l’unité elle prend du temps, mais je suis sûre qu’elle se fera avec du temps, et surtout des gens qui ont envie; parce qu’on ne s’arrête pas qu’aux problèmes des femmes noires. Tout nous concerne, parce qu’on est citoyennes, et on agit sur tous les domaines. Le réseau, c’est aussi une rage, ça vient d’une histoire douloureuse, et c’est aussi une rage due aux violences sexuelles, à la misogynoir, à une caricature de la femme noire qui doit juste épauler, l’invisibilisation dans les médias et dans nos communautés, dont nous sommes victimes. Moi aussi, j’ai le droit au pouvoir. Moi, je suis là pour la femme noire, ce sera toujours ma priorité, parce qu’on nous a jamais laissé la place.
Alessandra : Surtout que cette rage, c’est celle de la femme noire étudiante, de celle qui est mère, de celle qui est enfant, etc
Thécia: C’est vraiment un support d’aide, un réseau d’accompagnement dans ce qu’elles veulent faire, tant dans leur projet et ce dont elles ont envie.
Comment vous résumeriez le Réseau en trois mots ?
Entraide. Empowerment. Black.
Quelques travaux d’archives afropéens ou afroféministes que j’adore : afropea et les photos de manifestations afroféministes prises par Toile d’Alma.
Si toi aussi, tu es membre d’une association, d’un collectif ou d’un groupe afroféministe ou exclusivement d’afrodescendantes en France et hors Île-de-France, et que tu souhaites faire partie de cette série, envoie-moi un mail. 🙂