“Bonjour,
Je te suis avec plaisir sur Twitter et je me demandais si tu avais déjà abordé le thème de mysogynoir et spectacle humoristiques en France ? Je m’explique j’ai assisté dernièrement au spectacle de Noom Diawara et franchement j’en suis sortie un peu dégoutée … Après avoir loué les couples mixtes [il en a félicité plusieurs parce qu’il allaient faire de très beaux bébés selon lui] , il nous explique que franchement lui il en “peut plus des Fatous-fachées-fatiguées-flinguées avec des cheveux de toutes les couleurs et qui parlent fort dans les transports”. Toute la salle riait à gorge déployée et je me suis rendue compte qu’a chaque fois que j’allais voir un spectacle fait par une personne noire (Thomas Njijol, Claudia Tagbo) il y avait toujours plus ou moins ce moment ou l’artiste en question rabaisse la femme noire (souvent concernant ses cheveux).
Quand j’y réfléchis 2 secondes je m’en rend compte que nous femmes sommes plus cible de moqueries que l’homme noir, parce que certes on rit de l’homme noir en le déshumanisant souvent (l’étalon doué sexuellement) mais il n’en n’est pas moins désirable. Dans ces shows généralement la femme noire n’est pas considérée comme attractive.
Après j’ai vu des artistes qui n’en parlaient pas (Eboué, Patson).
Mais je me demandais si par hasard c’était une thématique que tu avais déjà abordée ? Ces personnes racisées qui véhiculent elles mêmes des clichés grossiers sur la femme noire.F.”
Etant donné que la misogynoir est à son paroxysme dernièrement et que je travaille actuellement sur la place du corps noir au théâtre et dans la littérature, je trouvais le mail de F. d’actualité.
On avait déjà parlé de la misogynoir ici, mais il est important de ne pas sous-estimer celle-ci comme l’oeuvre puérile de jeunes hommes noirs (ou racisés) en général, mais bien de situer d’où cela provient. Outre cette tradition de la suprématie blanche dépeindre le corps noir comme inférieur, aux connotations dégradantes, nous avions vu que le traitement du corps de la femme noire a historiquement et socialement sa représentation spécifique, alimenté notamment par des hommes racisés et des personnes blanches. Et je ne doute pas que quelques commentaires insultants viendront illustrer mon propos, comme les dernières fois, sans surprise.
Le fait est qu’il y a une attitude décomplexée à railler ou caricaturer la femme noire. Que ce soit par la figure de la Mama, à l’image d’Autant emporte le vent, ou de la mère de famille noire d’aujourd’hui; que ce soit dans les clips où le terme “niafou” est censé résumer l’excentricité des femmes noires à quelque chose de caricatural; que ce soit pour faire des caractéristiques de son corps un divertissement comme Saartje Baartman; on pourrait croire que parler des femmes noires est devenu un classique, particulièrement pour des humoristes racisé-e-s face à un public majoritairement blanc (il n’y a qu’à voir l’éloge des couples mixtes, en contrepied d’un dénigrement des femmes noires).
Autant Claudia Tagbo pourrait parler d’auto-dérision, autant les caricatures simplistes à base de sexisme et de racisme sont aussi courants dans les sketchs Youtube que dans les salles de stand-up. Ils participent vraiment à une misogynoir décomplexée, avec cette idée que “tout le monde peut en rire puisque c’est une personne noire qui le dit”.
Et comme le souligne si bien F., les plaisanteries sur les hommes noirs gardent tout de même une valorisation du corps de l’homme noir dans sa performance – ce qui est tout aussi problématique-, ce à quoi les femmes noires n’ont pas droit. Elles font juste l’objet d’un discours dégradant où il est plus facile de rire de ses défauts, et surtout, encouragent des hommes noirs à croire qu’ils ont une parole légitime vis-à-vis de leurs “soeurs”.
Je distingue vraiment un humour communautaire qui se base sur un patrimoine culturel propre au vécu des Afropéens (les skecths sur l’éducation, type “la mère caribéenne/africaine/etc”; la sape; les réunions familiales) et un humour qui se sert du corps noir ou de ce patrimoine pour faire rire de ses différences et de ses caractéristiques un public dominant. Il n’y a pas de “niafou”pour qualifier les hommes noirs, ni de sketch sur leurs cheveux défrisés des hommes, ou le blanchiment de la peau qui les concerne aussi etc… Et à mesure que l’on énumère ce qui n’est pas évoqué sur scène et ceux dont on ne parle pas, il est facile de voir à qui s’adresse cet humour.