Bonjour vous.
Je suis de loin le débat actuel sur l’intransigeance et la pédagogie du féminisme, via des articles divers. Entre efficacité de la cause, tone policy qui s’ignore, et vraies interrogations sur l’accessibilité du féminisme, on mélange pas mal de choses, mais surtout : on oublie qu’il y a plusieurs portes vers le féminisme, et que cette réalité est davantage qu’une simple différence de trajectoire.oppressions qui auront des schémas plus ou moins similaires.
“Le féminisme, ça nous concerne toutes”
C’est très beau sur le papier, mais beaucoup de personnes parmi nous sont d’accord pour dire que la réalité est bien différente. Dans le cas de plusieurs militantes afro’ – dont moi, c’est par le biais de l’antiracisme que nous sommes arrivées à un féminisme intersectionnel, soit un féminisme acceptant de prendre en compte les intersections entre race et genre (entre autres). Il est bien entendu que d’autres femmes ont un schéma similaire suivant d’autres oppressions.
Si j’utilise le terme “biais”, c’est bien que l’une des failles du féminisme avec un grand F n’est pas accessible pour toutes. Il a une image, un profil privilégié que l’on pourrait décrire comme étant une femme blanche hétéro, cis, bourgeoise, valide, catholique, etc. Ajoutez à cela tous les appareils institutionnels qui promurent cette vision, et un discours traitant le fait que vous soyez noires/musulmanes/lesbiennes/non-valides comme un problème secondaire, et vous comprendrez que certaines femmes ne se soient jamais senties concerné(e)s ou intéressées, étant déjà occupée à gérer une autre oppression que la société invisibilise déjà.
De ce fait, on peut dire que notre identité est radicalement invisibilisée par cette tendance à faire des femmes “cumulant trop d’oppressions”, des féministes de seconde zone dont les problèmes seront entendus plus tard, à la fin d’une liste déjà bien longue. Je l’avais expliqué ici, il y a des mécanismes institutionnels qui persistent au sein de différents mouvements, perpétuant le silence autour de sujets comme la transidentité, la body positivity, etc. Alors, bien sûr, on admet volontiers que l’évolution de ces mécanismes sont lents, demandent du temps, mais je ferai ici une distinction particulière entre les organisations et la parole.
Le problème aujourd’hui est que, en plus de ces organisations et associations figées où même des co-fondateurs/trices, cherchant à changer les choses en faveur de la diversité des femmes, se font finalement éjectés, on demande perpétuellement à certaines femmes de se taire sur leurs oppressions “secondaires” : sauf que celles-ci n’ont rien de secondaire au quotidien, elles sont à la gauche, comme à la droite de notre genre, puis devant, puis encore un peu à côté. Elles sont là. En somme, quand il s’agit d’en parler, il est demandé de le faire moins fort, plus tard, de manière pédagogue, tout en serrant les dents vis à vis d’insultes, sans nous répéter… On finit par nous contraindre au silence.
Le prix de la pédagogie n’est pas le même pour toutes, et l’intransigeance est souvent une question de safety. Jusqu’ici le débat semblait aborder principalement le discours d’une féministe au non-féministe, sans songer une seule seconde qu’être féministe est sous-tendu par plusieurs implications pour beaucoup d’entre nous. Il y a une fatigue ambiante, un épuisement et un agacement qui parcourt les strates des différents mouvements, les plus silenciés et les plus invisibilisés. Aujourd’hui, je comprends sans mal le ras le bol des féministes musulmanes par exemple, à qui l’on demande dans un soucis de pédagogie de réexpliquer et justifier encore et encore et encore comment on peut être musulmane et féministe.
Ainsi, la manière dont a été ouvert le débat jusqu’ici, est assez parlant de cette tendance à globaliser, renvoyant certaines femmes à des rangs éternels de seconde zone. Certain(e)s diront que l’on fait trop dans la nuance à évoquer ces différents de femmes, mais ça ne devrait pas être une question de nuance de penser à d’autres femmes que soi. Si l’on pouvait déjà entendre ce malaise, peut-être que certaines d’entre nous accepterait d’écouter et d’expliquer en retour. Si l’on ouvre ce débat, que cela soit fait totalement et non à moitié.
L’accessibilité au féminisme…mais pour qui ?
Ceci étant dit, je trouve que l’émergence de ce débat après “Women Against Feminism” est assez – bon ok, TRES – mal choisie. Il y a une nouvelle narration étrangement étrange : ça sent quand même la plaidoirie ici et là, à croire que ces jeunes femmes ont écrit sur des pancartes et envoyé des selfies par accident. Je grossis le trait, mais ce que j’essaie de souligner ici c’est la notion d’ignorance que j’ai vu être excusée dans certains commentaires et déclarations.
J’entends parfaitement le fait que les déclarations de ces femmes soient le produit de la culture du viol ambiante, qu’il y a certainement un “appel” – caché – derrière tout cela, mais je trouve qu’une narration très dérangeante fait son apparition après ces constats : “il a tapé la personne, mais c’est parce qu’il veut exprimer son mal être. Même si c’est mal qu’il l’ait tapé oui”. C’est un peu ça que je lis. Et j’utilise volontairement le verbe “taper”, car il y a des déclarations abominables parmi les pancartes de WAF, notamment sur la notion de victimes.
Je reprendrai donc ce que j’avais dit au sujet du racisme : “Ne pas savoir est une chose. Mais savoir qu’on ne sait pas et perpétuer cette ignorance, c’est cautionner et véhiculer encore ces portraits.” Ces femmes ont sciemment créé un tumblr, songer aux premières idées vagues qui pourraient ressembler de loin à, mmh, voyons, du féminisme. Donc parler de pédagogie, il faut savoir de qui l’on parle car, à mes yeux, il y a une différence entre une personne qui dit ne pas savoir et veut apprendre, une personne qui ne sait pas et qui s’en fout, et une personne qui va essayer de faire quelque chose avec ce qu’elle pense savoir peut-être-mais-pas-sûr. Parmi les trois exemples que j’ai donné, il n’y a un seul cas qui accepte de s’en remettre à d’autres personnes parce qu’il ne sait pas. Quand on choisit de prendre pour bagages son ignorance pour construire quelque chose, ça devient problématique et, surprise, ça révèle pas mal de stéréotypes.
Rappeler quelqu’un de savoir de quoi il parle n’est pas de l’intransigeance mais, au pire, un appel à la rigueur, au mieux, un conseil.
Et, pour rappel, cette apologie de l’ignorance est le moteur de nombreuses oppressions et ne cesse de croître à l’heure actuelle – surtout en voulant policer à tout prix certaines paroles.
Et si on parlait des bases…
Néanmoins, tout n’est pas à jeter dans ce débat, loin de là. Je pense qu’il y a un certain manque d’articles “mots clés” en général, on peut le retrouver sur certains blogs, et les différents Bingos. Mais la création de néologismes, aussi nécessaire fut-elle, participe également à ce problème d’accessibilité aux bases et à la fixation des notions.
On m’a plusieurs fois dit le problème du “jargon” féministe. Dans une démarche de créer une bibliothèque solide aux références intra-communautaires (j’entends par là des références écrites par des concerné(e)s), on a traduit la “solidité” de ces références par des théories, tout en négligeant la nécessité et la diversité des bases (mais il faudrait un autre article, rien que pour ce sujet) . Jusqu’ici, il n’y a que dans le paysage anglo-saxon que j’ai trouvé des BD, des fan art; en d’autres, des utilisations de la fiction pour rendre accessible ces notions. C’est dans le fait de penser à créer ces médias que devrait s’exprimer notre indulgence, selon moi. Bah oui, parce que la féministe assise dans un parc en train de boire un café n’est pas le seul média, hein 😉
La diversité des médias ! Voilà un autre élément intéressant à creuser et qui éviterait cette tendance à utiliser certaines féministes comme des leviers encyclopédiques, une tendance récurrente qui gèle la prise d’initiatives.
En somme, de ce que j’ai lu, tout a été mélangé. La complexité de ce débat s’attaque au “comment” sans étudier “de qui parle-t-on ? de quelles positions ? de quels médias ?”, etc. J’achèverai ce post sur quelques témoignages reçues lors d’une discussion sur le sujet :
“C’est trop facile de nous demander d’être calme partout, mais de ne jamais nous écouter”
“Y a des moments, j’ai pas envie d’être prof, j’ai juste envie de gueuler. J’ai pas envie d’être productive, tu vois ?”
Pour aller plus loin (sur le blog):