Malcolm X : le "Diable" de l'antiracisme (Part 1)

 

Le climat actuel des milieux militants n’est pas sans effet sur mes choix de lecture. Là où je privilégie habituellement des livres dont on parle peu, où j’évite les best-sellers des auteurs qui m’intéressent, j’ai voulu retourner aux figures historiques. J’ai déjà publié une série de posts ici sur le livre “Why can’t we wait” de Martin Luther King, analysant en quoi ces mythes antiracistes servaient une construction whitewashée (blanchie) pour nourrir une représentation binaire de la lutte antiraciste durant les “Civil Rights”. De la même manière que MLK n’était pas un “non-radical”, Malcolm X n’était en rien la figure diabolisée qu’il nous reste aujourd’hui, accolant son nom au mot “violence”.

Et pourtant, cette diabolisation n’est-elle pas similaire pour tout militant qualifié de “radical” ? C’est donc avec ce même soucis de véracité, mais aussi une profonde curiosité pour cet homme entraperçue dans le film éponyme de Spike Lee, que j’ai voulu aller au fond des choses et lire son autobiographie.

 

 

 

1) Le jeune de Lansing surnommé Satan.

Si l’on devait donner une source à cette réputation sulfureuse, on pourrait sans difficultés s’appuyer sur la jeunesse du leader noir : fils d’un pasteur militant en faveur de Marcus Garvey, l’enfance de Malcolm est marqué par l’implication de son père (qu’il s’agisse des réunions ou des menaces du KKK) et par la mort tragique de ce dernier. Son père est retrouvé le crâne ouvert et le corps coupé en deux après le passage d’une voiture. Les KKK et une autre organisation afro-américaine douteuse sont les auteurs de ce crime qui, du fait d’une situation précaire comme la plupart des afro-américains, va entraîner la dissolution de la famille : la mère est placée, contre son gré, dans un asile après que l’Etat ait placé les frères et soeurs de Malcolm X dans différentes familles. Malcolm, lui se retrouve placer dans une famille blanche et dès lors va vivre ses premières expériences du racisme. Il s’en suivra une vie de délinquance, d’addictions, et de cambriolages à Harlem qui le conduiront en prison, pour dix ans.

L’histoire aurait pu s’arrêter là, comme il le dit lui-même, car son parcours est commun à la majorité des afro-américains des Etats-Unis. Pris d’affection pour un mode de vie aussi virulent que révélateur sur une Amérique “cancéreuse”, il gardera de ses années dans les ghettos du Nord des Etats-Unis, un regard lucide sur la misère sociale et intellectuelle d’une communauté afro maintenue dans une infériorité imposée et légiférée.

2) “On m’appelait Satan”

Toujours dans une lucidité incroyable, l’auteur décèle des éléments clés de sa jeunesse : le défrisage à la soude comme le souhait de se rapprocher davantage du Blanc, l’ascension sociale que représentait la femme blanche, la classe moyenne afro-américaine comme étant l’arbre cachant la forêt et portant l’illusion d’une “intégration”, la violence policière… En ces éléments isolés, il dépeint un système sociale qui condamne les communautés afro-américaines à un idéal blanc : par l’esthétique, par les femmes (les relations interraciales étaient ce qu’il y avait de plus tabou, et la prostitution des ghettos – impliquant des femmes blanches immigrées et des femmes afro-américaines – nourrissait les fantasmes animés par ce dernier) , et notamment par la religion : Malcolm X explique que la religion catholique au Jésus blond et aux yeux bleus était l’éternel paradoxe de la suprématie blanche, soit un dieu blanc capable d’aimer et devant être aimé de tous sans distinction de race, tandis qu’une société blanche vivait de son privilège sur la ségrégation des Noir(e)s.

On songe souvent au caractère raciste de la ségrégation sans songer au caractère classiste qui lui est intrinsèque : l’ascension sociale d’une minorité d’afro-américains devait servir à consolider la société ségrégationniste : en effet, comment l’étudiant afro-américain sortant d’Harvard pouvait-il contester le système en place ? Comment la classe bourgeoise afro-américaine – et le critère de bourgeoisie concernait des professions comme coursier, tout au plus – pouvait-elle contester l”Intégration” ? Malcolm X reprend la division entre les Nègres de maison (soit les esclaves qui travaillaient dans la maison des propriétaires) et les Nègres des champs : le premier groupe bénéficiait de cette illusion de privilèges, et donc ne pouvait que défendre leurs généreux maîtres, au lieu de se révolter. Ainsi fait-il le portrait de cette classe moyenne noire dénigrant à son tour les ghettos. Et quand bien même d’autres leaders disaient défendre la cause noire, ces derniers choisissent de prôner l’intégration… dans une société inégale.

Inégale, non seulement dans la brutalité et le déni des communautés ségréguées, mais aussi dans l’utilisation des ghettos comme lieux d’expériences des Blancs : de la prostitution aux boîtes afro-américaines, le rapport des Blancs aux noirs des ghettos est toujours dans l’expérimentation. Malcolm X prend l’exemple de la jeunesse  blanche new-yorkaise, descendant dans les ghettos  à une certaine heure pour danser sur de la musique noire et qui, sur leur chemin retour, lançait à certains afros “tu sais, toi et moi ne sommes pas si différents” avant de monter dans leurs limousines.

 

L’aliénation – d’une part pour les afro-américaines, mais aussi pour les blancs dans cette idée que toute contestation de ce modèle sociale était non avenue – était donc le carburant d’une ségrégation toujours plus annihilante.

Le plus fulgurant est sans doute l’instruction de Malcolm X : c’est dans le milieu carcérale où une prison donnait à disposition une bibliothèque et des séances de débats que le leader noir fera ses armes. Ayant oublié jusqu’à son orthographe et à la formation de certains mots, il va, pendant ces dix ans, s’instruire et découvrir l’histoire des communautés noires à travers le monde. Il découvre l’esclavage; ce qui nous semble aujourd’hui incroyable avec l’accès d’Internet, les oeuvres cultes comme Racines (Roots, d’Alex Haley) à disposition. Mais à l’époque, la plupart des afro-américains ignorent même les tenants et aboutissants de l’esclavage. Ainsi, entre découvertes de cultures annihilées, non seulement chez différentes communautés mais surtout l’histoire des non-blancs.

Mais l’acquisition de ces connaissances sera motivée par la rencontre d’un homme, Elijah Muhammad. En effet, pour cet athée revendiqué surnommé “Satan” par les autres détenus, cet empowerment identitaire sera consolidée par une religion, déjà contestée à l’époque et encore stigmatisée aujourd’hui : l’Islam.

 

 

 

 Part 2 : Malcolm X, Islam et culture de l’empowerment.
Part 3 : Malcolm X, du pèlerinage panafricain à la solidarité humaine.

 

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