Rama, jeune romancière, assiste au procès de Laurence Coly à la cour d’assises de Saint-Omer. Cette dernière est accusée d’avoir tué sa fille de 15 mois en l’abandonnant à la marée montante sur une plage du nord de la France. Cependant, au cours du procès, la parole de l’accusée, l’écoute des témoignages font vaciller les certitudes de Rama et interrogent notre jugement.
MON AVIS
C’est un peu dur de donner son avis sur un tel film, et je suis peut-être influencée par la rencontre avec Alice Diop qui a suivi après la projection, mais comme elle l’a dit : “c’est un film qui vous travaille de l’intérieur”.
En tant que femme, noire, fille et mère, profondément intéressée par les représentations des femmes noires au sens large, je savais que ce film n’allait pas me laisser totalement indemne. Il est tellement construit en miroirs, que j’ai trouvé difficile de ne pas en ressortir avec une introspection sur notre place dans le monde, que ce soit dans l’intime ou avec autrui.
Le rapport à l’écriture de Rama m’a aussi touchée, notamment dans cette expérience très vraie où l’on part avec un projet de récit en tête, et il peut nous échapper, nous prendre au dépourvu, et s’effacer derrière une confrontation face à soi-même. Car c’est ça, l’écriture : une histoire de regards.
Quand je dis que le film est construit dans un jeu de regards, je pense :
- au regard du public face à la mise en récit de l’histoire de Laurence Coly, où jugement, sentiments contradictoires et voyeurisme se mélangent.
- aux regards de l’audience au tribunal et du jury sur Laurence Coly, lors du procès
- aux regards entre Rama et Laurence : jugement, compassion sororale entre femmes noires, mépris, mise à distance
- au regard de Rama sur ce qui lui est renvoyé sur sa maternité : est-ce que l’isolement des femmes durant leur maternité commence dans le secret sur sa grossesse ? est-ce que sa maternité est vouée à suivre celle de sa mère ? celle de sa mère ? de la mère de Laurence ? soit trois femmes noires aux destins brisés…
- au regard de Laurence : le plus insondable de tous., seul indice de sa sincérité lors de son témoignage..
Il y a bien sûr le regard sur le temps, la dimension intergénérationnelle entre ces femmes noires qui ont choisi de transmettre ou de taire ce qui leur semblaient nécessaires. Et c’est bien là ce que la juge essaie de percer sur cet infanticide… Pourquoi un tel crime est-il arrivé ? Qu’est-ce que Laurence ne leur dit pas ?
Sans jamais esthétiser ou justifier le crime commis, Alice Diop restitue la majorité des échanges s’étant tenus au tribunal, jusqu’à la verbatim près, et nous laisse nous faire notre propre avis. Mais surtout, elle nous invite à nous regarder.
Lors de la rencontre, Alice Diop a insisté sur la portée universelle d’un tel film, dans ce qu’il suscite chez l’audience, les femmes, les mères, de sorte qu’elle a – à mes yeux – montré encore une fois que ces femmes noires à l’écran sont aussi des visages de l’universel.
Pour moi, un autre processus participe à ce rendu (et ce n’est que ma vision probablement liée à ma petite fixette sur le sujet) : la notion de monstruosité. La monstruosité de l’acte en lui-même (le mythe de Médée, et son infanticide), la monstruosité perçue des femmes noires, la monstruosité de la grossesse (ce qu’elle fait au corps, ce qu’elle provoque comme émotions ou actes, comme isolement aussi, etc), la monstruosité du soi (nos complexes et complexités, le désir de respectabilité)…
J’en parlais dans ma précédente publication Femmes noires et monstruosité : il y a quelque chose de fort à porter à l’écran des femmes noires aussi complexes, car c’est participer à diversifier nos représentations et à nous humaniser.
En somme, c’est un véritable jeu d’équilibriste auquel Alice Diop s’est prêtée en faisant ce film. Il y avait tellement d’écueils possibles, surtout pour un premier film de fiction.
Une grande cinéaste…