Je ne sais pas trop par où commencer.
Assata Shakur fait partie de ces grandes figures militantes que je connaissais de loin, et qui était sur ma liste des activistes noires “à connaître”. La traduction française de son autobiographie par le collectif Cases rebelles et sa publication dans la maison d’édition PMN éditions était l’occasion en or pour :
- soutenir un collectif que je suis depuis des années
- soutenir une maison d’édition indépendante
- en apprendre plus sur Assata Shakur.
Le livre
Dans cette autobiographie, Assata Shakur alterne entre sa vie passée en prison après que le gouvernement américain l’ait accusée d’avoir tué un policier, et les chapitres de sa vie l’ayant amené à devenir activiste. Ce que j’ai particulièrement apprécié c’est qu’on voit bien que rien n’est tracé. Shakur parle autant de la négrophobie intériorisée, de son ignorance complète sur les pays africains, de son patriotisme naïf américain et de ses erreurs, qu’elle parle de ses choix politiques, de ce qu’elle a subi et de ce qu’elle pense. Il y a quelque chose de très honnête et sincère dans les lignes de Shakur. J’ai eu l’impression de lire une femme que j’aurais pu connaître, accessible et imparfaite, et non une grande statue à glorifier. Ce n’est pas seulement à cause de sa critique qu’elle fait des différentes sphères militantes dans lesquelles elle s’est impliquée ; ni à cause de son auto-critique, mais parce que, même dans l’articulation de sa pensée politique, elle écrit comme elle parle, quitte à dire des insultes ou à paraître violente.
Comme je l’ai fait remarquer durant ma lecture : en terminant ce livre, je n’ai pas pu m’empêcher d’avoir le même vague à l’âme que j’ai pu avoir en lisant des textes de Malcolm X ou de Nkrumah. C’est assez triste de mesurer chaque fois que le système a gardé les mêmes mécanismes de domination qu’il y avait, il y a un peu plus de cinquante ans – quand bien même leurs formes ont changé.
Attention ! Si vous songez à lire ce livre, trigger warning: torture, violences policières, négrophobie et agression sexuelle.
Sans que Shakur se désigne comme telle, c’est une lecture qui a beaucoup nourri mon afroféminisme, qui m’a fait beaucoup réfléchir sur mon engagement, sa forme, ses dispositions, ce que je peux ou non donner, ce que je veux ou non donner, ma temporalité, ce que je veux approfondir. J’ai aussi réalisé qu’il y a une part de mon apprentissage politique dont je ne parlerai plus sur ce site, tout simplement parce que nos vies 2.0 manquent de huit clos pour réellement se retrouver avec soi-même et savoir ce qu’on veut. Comme le dit une amie à mon propos, c’est peut-être mon côté “grand mère feuillage”?
Pourquoi il faut le lire ?
- C’est un livre que je n’aurais pas de mal à conseiller à une jeune lycéenne, tant Assata est transparente et accessible. Je trouve également qu’il inspire une certaine bienveillance, à l’ère du numérique où le mot “woke” est populaire et foisonne dans les conversations ici et là. Au contraire, Assata démystifie un peu “la science infuse militante”, et raconte avec humour ses
- Comme d’autres textes de militant.e.s noir.e.s, l’autobiographie de Shakur est éclairante sur la nécessité d’une lutte politique révolutionnaire : elle en explique les tenants et aboutissants, les alliances politiques, les manquements de certaines rhétoriques, y compris celles modérées, les méthodes d’organisation, etc. Beaucoup de points sont transposables à la situation des groupes militants afro en France, et plus largement en Europe, je trouve. Mais c’est peut-être une question de sensibilité.
- Il y a des perles historiques, notamment lorsque Shakur explique point par point la position politique du président Abraham Lincoln qui n’était PAS abolitionniste, et aussi comme le roman national américain a pris soin d’oublier certaines de ses prises de positions. Il y a également d’autres points historiques sur lesquels elle revient, mais je vous laisse découvrir !
- Par son témoignage, on a aussi une description du système carcérale américain vécue par une femme noire, les violences inhérentes à sa situation d’activistes, entre autres. Il y a beaucoup de livres qui me restent à lire sur le système carcérale en tant que tel – je n’ai qu’une vie, pourquoiiiiiiii ?!
- Enfin, et je m’arrêterai là parce que cinq raisons, c’est déjà pas mal : pour toutes femmes noires engagées (womanistes, panafricanistes, afroféministes, etc), je trouve que cette lecture permet de faire le point.
Encore bravo au Collectif Cases Rebelles d’avoir traduit ce texte essentiel à la lutte, et à la maison d’édition PMN (Premiers Matins de Novembre).