Publié originellement sur Just Follow Me, en 2012.
Euro-africain ? afro-européen ? Dans une tentative d’explorer une littérature afropéenne, après un voyage avancé dans la littérature afro-américaine, il était difficile de définir les thèmes et les limites de cette autre littérature méconnue et, surtout, de savoir ce que j’y cherchais. J’ai rencontré Toni Morrison dans la bibliothèque de ma mère et, c’est là même que je rencontre Mariama Bâ et son roman, Une si longue lettre.
Lettre ouverte d’une femme.
Dans cette lettre, une voix, celle de Ramatoulaye le lendemain du décès de son époux Modou. A travers les pages, on découvre les premiers amours et les difficultés d’une femme sénégalaise qui sera restée fidèle à son mari jusqu’au bout, par amour. Et ce, malgré sa seconde femme, malgré les mensonges, malgré le regard des autres, malgré l’humiliation, malgré ses efforts d’être une bonne épouse et une bonne mère ; car, oui, il ne s’agit pas d’une romance à sens unique, mais bien l’ode d’une femme africaine qui ressemble à beaucoup d’autres. Au cours de son deuil, le personnage principal s’interroge donc entre qui elle est et a été, et celle qu’on lui demande d’être.
Entre restitution d’une culture emplie de rituels et message féministe, Mariama Bâ donc hommage à « la » femme africaine considérée, à tort, comme non-féministe ; cette femme que nous peinons parfois à comprendre avec notre idée de l’indépendance de la femme, qui nous paraît soumise sous nos yeux emplis d’incompréhension et de dédain. Bâ nous contraint à voir une autre forme de lutte plus indicible, cachée derrière une acceptation sociale de la polygamie au détriment de l’individualité. En effet, si Ramatoulaye accepte bien des choses, elle revendiquera toujours l’importance de l’éducation des femmes et la place de celles-ci dans la politique africaine, par exemple. Elle élèvera ses filles, malgré l’écart intergénérationnel qui se creuse entre les boubous et les jeans taille haute. Enfin, les derniers chapitres viennent nous montrer, dans une envolée lyrique et commune à toutes les femmes, l’envie d’être entendue. Et c’est bien là le rôle de la lettre : interroger, dénoncer, et agir.
Ramatoulaye, c’est donc une femme qui lutte différemment et il nous incombe, si ce n’est de la comprendre, au moins de l’écouter.
Féminisme intersectionnel : quand les femmes africaines ont une voix.
Pour ceux et celles qui s’intéressent aux enjeux actuels du féminisme – ou simples débutantes comme moi -, vous n’êtes peut-être pas sans connaître la question de l’intersectionnalité, soit la prise de conscience qu’il y a différentes femmes (origines ethniques, sociales, religions, etc) dans le mouvement qu’est le féminisme. Ces différences posent la nécessité d’analyser différentes problématiques, dénonçant ainsi un féminisme à la représentation unicolore et privilégié.
Quel rapport donc avec Mariama Bâ ? Mariame Bâ est l’exemple même d’une voix africaine féministe, dépassant ainsi l’idée préconçue qu’aucune contestation n’est faite face à des traditions patriarcales, encore présentes aujourd’hui en Afrique. Dans une écriture fine, tantôt résignée, tantôt assumée, son personnage dévoile dans ses lettres une lutte intérieure et une conscience de ces injustices.
Elle se confronte également au jugement hâtif des femmes occidentales que nous sommes. Et dans l’articulation de paradoxe, l’auteur nous apprend que les femmes africaines ne sont pas si différentes des autres. Derrière la polygamie, se cache également des mères de famille élevant seules leurs enfants, sans nécessairement d’aides financières du dit époux, par exemple. D’autres, comme la destinataire de la lettre, Aïssatou, parte.
Entre spécificité et universalité, Mariama Bâ étaye l’épouvantail de ces modèles de femmes que l’on a parfois vu, aperçu, çà et là, aux quatre coins de notre vie et du monde.