Au creux de ta nuque – Hommage à Maya Angelou

On voudrait une de ces filles paisibles et futiles, qui dans un rire joviale déborde de grâce et de douceur. On voudrait faire de cette beauté irisée et constamment idéalisée; une femme singulière qui porte les yeux bleus de toutes. Mais je n’ai pas les yeux bleus, ni les cheveux blonds, ni cette jovialité polie, lisse et parfumée que l’on voudrait m’accorder. Dans cet élan de fantasme collectif, j’émerge, comme une fracture tacite entre ce que le monde attend de moi et ce quine m’a jamais concernée. Ce sont dans les éclats de rire, face à cette représentation factice de la femme, que je m’épanouis.

Il y a des parfums que je reconnais entre milles, celui de la pommade de coco qui file entre les doigts et les vagues noires de mes cheveux; cette odeur d’oignons et d’ail avant que ma mère ne saupoudre de colombo la chair de la viande. Il y a des chants, un langage si particulier; le “oh” du Cameroun qui vient ponctuer les fins de phrases, la vague du “r” caribéen quand le créole roule aussi vite que ne coule le lingala. Il y a de ces teintes, ces couleurs brillantes et vivantes dont le mot “noir” ne rend pas toute la diversité; des grains, à mesure que le cheveu résiste entre mon pouce et mon index. Je te parle peut-être d’un monde que tu ne connais pas, qui m’est aussi familier que la caresse agressive du peigne dans mes cheveux. Et pourtant…

Viens, assieds-toi. Baisse la tête en avant que je vois ta nuque, défais tes cheveux de ce qu’ils portent. Ca ne fera pas mal. Ca ne sera pas long. Mes jambes soutiendront ton dos. Viens, baisse bien la tête, que je te tresse maintenant l’histoire de ma vie.

Je n’ai pas envie de compter ces rencontres, mais je veux te conter ce que racontent leurs visages. Et, quand j’aurais fini, nous pourrons cesser de dire que nous ne savions pas, au nom de nos différences. Je te montrerai peut-être la forge de mon existence, dans tout ce qu’elle a de plus beau et de plus douloureux.

Alors, seulement, tu comprendras mes pleurs pour ces femmes noires disparues. Alors, seulement, tu pourras effleurer de tes doigts le maillon épais, rassurant et irrégulier qui lie nos êtres. Ce n’est pas dans la distinction, mais dans l’embrasement de notre métamorphose que tu me serreras la main, et que je te murmurerai à l’oreille : Still, I rise.

 

 

Mrs. Roots.

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