On m’a plusieurs fois demandé comment j’en étais arrivée au féminisme intersectionnel et, plus largement, m’impliquer – à mon échelle – dans le militantisme. J’y ai beaucoup réfléchi et je crois que la seule chronologie adéquate repose sur les rencontres que j’ai faites, ce que j’ai appris et ce que je suis. Mais je me concentrerai sur les rencontres.
La première personne est une amie, M., impliquée dans le milieu associatif LGBTQI de son pays, que j’ai rencontré au cours de mon année d’études en Finlande. Faire partie d’une association est totalement banale dans ce pays, c’est presque étrange si ce n’est pas le cas; les gender studies donnent lieu à des bibliothèques énormes, bref, tout convergeait pour que je rencontre des gens impliquées dans ce milieu. A base de discussion sur des sujets sur le genre, la transidentité, la pansexualité, je me suis rendue compte de l’étendue de tout ce que je ne connaissais pas, et j’ai voulu en savoir plus. C’était au moment des manifestations contre le mariage gay. Nous discutions sur les articles qui nous parvenaient, aussi alarmants les uns que les autres. Et puis, il y avait ce climat xénophobe qui se révélait un peu dans une France qui questionne constamment ton identité quand tu n’es pas blonde aux yeux bleus. Peu à peu, une colère sourde, contenue et anesthésiée depuis longtemps a fait surface. C’était le début.
Les mois suivants, après mon retour en France, j’ai rencontré… des auteurs. Ma cousine m’a dit, “il faut que tu lises ce livre, ça va changer ta vie“, et même si je suis toujours dubitative devant ce genre de réaction, je la connaissais trop bien pour ne pas le croire. Ce fut le cas. Dans le métro donc, tous les matins, je lisais un bout de “Peau noire, masques blancs” de Frantz Fanon. Puis j’ai dévoré les Toni Morrison, et j’ai eu une période de lecture panafricaniste. C’était comme boire sans pouvoir assouvir une soif, et toujours la même colère, cette sorte d’ulcère qui s’ouvrait un peu plus.
J’ai ensuite rencontré un groupe d’étudiants africains qui ont giflé mes a priori de petite Européenne, ont remis en place mon regard ethnocentrique, et m’ont appris, encore, parfois durant des nuits blanches, énormément de choses.On discutait, débattait, riait, c’était presque une source de nouveautés addictive. Plus j’ouvrais les yeux, et plus je voulais en savoir plus. Au fur et à mesure, je me forgeais.
Enfin, vint les cyber-militants devenus mes ami(e)s pour la plupart. J’ai lu d’abord leurs blogs, puis j’ai parlé avec eux, et les ai rencontré. C’est comme ça que j’ai découvert l’intersectionnalité, c’est à l’intersection de ces rencontres et de ces connaissances diverses que j’ai su ce que c’était, que j’ai vu qu’il y avait un féminisme qui me concernait.
Aujourd’hui, je ressens un profond malaise.
La plupart de ces personnes sont issues des minorités (ethniques/sexuelles/etc) et disparaissent de plus en plus dans ces groupuscules ou associations qui se disent inclusives et intersectionnelles. Celleux qui critiquaient autrefois l’intersectionnalité portent ses étendards, d’autres ont commencé une chasse aux sorcières pour acculer les paroles de ces concerné(e) et les éradiquer, et l’intersectionnalité que je voyais auparavant se dilue de plus en plus dans un white-washing français.
La vérité, c’est que M. a été évincée de l’association qu’elle avait fondé en voulant la rendre plus inclusive. La vérité,c’est que ces blogueurs/ses que je lisais sont outés, voire contraint à fermer ou arrêter de partager leur contenu parce qu’on les harcèle ou leur manque de respect. La vérité, c’est que mes amis africains, seconde famille, ne sont pas sûrs d’être encore ici l’année prochaine.
On ne peut pas parler d’intersectionnalité si elle ne reflète pas ce pourquoi elle est utilisée : c’est à dire, si elle ne reflète pas la diversité qu’elle défend. J’ai trop souvent l’impression qu’on l’applique avec de bonnes intentions sans jamais comprendre le caractère primordial de sa représentation. Dans son asso’, M. se battait notamment pour faire exister les dernières lettres de ce LGBTQI; et j’ai l’impression que l’on doit faire valoir la même chose. A quoi bon présenter une association inclusive régie par des hommes cis hét blanc ? Si je ne me suis jamais sentie concernée par le féminisme TM, c’est bien à cause de l’image qu’il véhiculait, bien avant de me soucier de leurs propos.
Je ne veux pas qu’on parle pour moi. Je veux que quelqu’un comme moi parle pour moi, quand je ne peux pas le faire moi-même. Je ne veux pas que l’on m’inclut quand cela permet de checker les privilèges de chacun. Je veux qu’on m’inclut parce que ma parole a de la valeur pour ce qu’elle contient. Je ne veux pas qu’on me noie dans la diversité, je veux qu’on reconnaisse mes différences en son sein.
La vérité, c’est que votre intersectionnalité, je ne la reconnais pas.
Pour aller plus loin:
Cette série d’articles sur la remise en question de l’intersectionnalité : 1,2 et 3.