Te dire afroféministe

Hey !

J’espère que tu vas bien. J’étais à deux doigts de commencer ce post par “Assieds-toiiii, faut que je te paaaarle”, mais j’avais peur de perdre une part de mon auditoire. Ceci n’est pas un article théorique. Il n’y aura pas de sources, pas de concepts ou de mots compliqués. Prends une chaise, un bon thé ou un bon café. Mets toi à l’aise. Oui, toi, la sistah qui est tombée sur ce site, c’est à toi que je veux parler aujourd’hui.

Je suppose que, si tu es tombée sur mon blog, c’est peut-être que tu t’intéresses à certains sujets liés aux femmes noires et métisses, à leurs vécus multiples, et par extension, aux discriminations qu’elles subissent. J’espère sincèrement que tu y as trouvé quelques trucs qui ont pu t’aider, ou répondu à tes questions, ou tout simplement qui t’ont fait découvert des choses. La raison de ce texte d’aujourd’hui, c’est un petit rappel que je voulais te faire, qui que tu sois, ou que tu vives.

Ça fait quelques années que j’observe un glissement sur le fait de se dire afroféministe; plusieurs fois que je rencontre des femmes noires – parfois plus jeunes, parfois plus âgées que moi – qui me disent ne pas se reconnaître en ce terme pour diverses raisons : certaines ne se sentent pas légitimes; d’autres ont l’impression qu’il faut connaître mille et une théories; d’autres qu’elles ont peur du cyberharcèlement (peur légitime, d’ailleurs), d’autres encore qu’il faut penser comme ci, comme ça…

Posons nous un moment.

Beaucoup l’oublient; mais ce qui m’a amené à l’afroféminisme, c’est des romans. De la fiction. Des histoires de femmes afro-américaines; une épopée familiale comme Racines. C’est l’imaginaire qui m’a amené à me questionner, à lire des livres sur l’antiracisme, puis à en parler à Kiyémis qui m’a dit de m’inscrire sur Twitter, puis à tomber sur le blog de MsDreydful pour découvrir l’afroféminisme. C’est de l’imaginaire. Pas de la théorie. Pas des articles académiques. Tout ça n’est venu que bien plus tard. Peut-être que pour d’autres, ce fut des séries, ou des tweets, ou même un fait divers… Bref, il n’y a pas de mauvaises ou de bonnes trajectoires. Personne ne naît woke. Une conscience politique, ça se construit. Ça bouillonne, ça stagne, ça s’émaille sur des doutes, ça fleurit, ça s’altère, ça revient… Bref, ça évolue.

Un jour, ma petite soeur est venue squatter ma chambre. Elle s’est allongée sur mon lit et m’a dit “Dis… c’est quoi l’afroféminisme, en fait ?”. Ca faisait plusieurs années déjà que je tenais ce blog, que je parlais en famille ou sur les RS de mon afroféminisme, et ma soeur avait souvent été dans la pièce. Néanmoins, j’ai compris ce jour-là qu’elle voulait en savoir plus. LA discussion. Nous en avons discuté, et j’ai pris soin de rester neutre (enfin, de lui faire comprendre que c’est pas parce qu’on a le même sang, qu’elle devait forcément penser comme moi). Il y a eu un silence, et si mes souvenirs sont bons, je crois qu’elle m’a dit “je pense que je suis afroféministe”. Puis nous avons parlé d’autres choses. C’était il y a plus d’un an, je pense. Il y a quelques jours, j’ai remarqué qu’elle l’avait mis dans sa bio.

Peut-être que tu es tombée par hasard sur ce terme, et que tu y trouveras des réflexions utiles sans ressentir le besoin de t’en réclamer; que tu vas t’y retrouver pendant un temps avant d’avoir une sensibilité politique pour le womanism, ou le panafricanisme; ou simplement passer à autre chose. Peut-être que tu te sentiras afroféministe, mais que tu le garderas pour toi. Peut-être que tu seras intéressée, désintéressée, enjouée, déçue… C’est fluctuent. Après tout, c’est bien pour ça qu’il y a plusieurs courants et plusieurs mouvements féministes noirs.

Pour ma part, je sais ce sur quoi mon afroféminisme repose, la place qu’il a dans ma vie, les modes d’action que je privilégie pour ma santé mentale et qui me correspondent. Ce qui m’en assure la longévité, c’est son questionnement, l’effort de garder un regard critique sur ce qui se fait, etc.

Je le reconnais : je pense qu’il était un peu plus facile de se tromper il y a six ans lorsque j’apprenais sur ces questions; qu’il ne l’est aujourd’hui. Avec toutes les ressources sur l’afroféminisme, il y a parfois une attente que telle ou telle chose soit connue. A mes yeux, c’est assez simple : il y aura toujours quelqu’un pour demander “c’est quoi l’afroféminisme ?”, et c’est logique. Je pense qu’il faut juste garder en tête que la sistah en face n’est pas forcément obligé de le savoir; tout comme la sistah en face n’est pas forcément celle qui aura l’énergie de l’expliquer 4 937e fois. Mais là encore, ce sont mes 2cents. L’autre difficulté est, à mon avis, le fait s’y intéresser en se basant sur la presse. J’ai vu vraiment tout et n’importe quoi, surtout avec la “glamorisation” qui en a découlé, et le pire, ce sont les détracteurs.trices de l’afroféminisme qui répondent à ce qu’ils.elles croient être de l’afroféminisme. Un article avec une photo d’Angela Davis n’est pas nécessairement une source, ahem.

Bref. Cette semaine, j’ai rencontré deux femmes brillantes qui, peut-être comme toi, avaient des doutes par rapport au fait de se dire afroféministe. L’une me disait, ironique, qu’elle n’avait pas d’afro à brandir et d’autres codes esthétiques qu’elle voyait partout rattachés à l’afroféminisme. L’autre me disait qu’elle ne se sentait pas légitime pour se revendiquer comme telle, car c’était encore trop tôt. Qu’elle commençait à l’envisager parce qu’elle était entourée de femmes noires qui la rassuraient sur sa légitimité. J’ai trouvé leurs témoignages très intéressants, et c’est ce qui m’a motivé à faire de la place sur ce blog pour ce post.

L’important n’est pas de savoir si tu dois avoir un blog ou un collectif, de connaître tel terme ou autre, ou d’avoir un afro. L’important, c’est de savoir la place que tu veux faire à cet adjectif, et ce que ça représente pour toi. L’afroféminisme est un mouvement de lutte, pas une mythologie où tout le monde devrait être une héroïne invincible, etc.

Alors, respire un bon coup, et prends ton temps. Rien ne presse. 🙂

One thought on “Te dire afroféministe

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