Burn-out et femmes noires; une lutte pour être entendue

J’en ai déjà parlé.

Par petites touches, ici et ; avec toujours cette habilité à en parler quand c’est passé. Et puis, il y a quelques jours, je reçois un message d’une lectrice qui me remercie d’avoir mentionné le burn-out vécu par les femmes noires, et potentiellement celui des femmes racisées, car elle n’a pas trouvé beaucoup d’articles sur le sujet. J’ai lu son message et j’ai senti du soulagement. Parce que, même si j’avais effleuré le sujet, j’ai réalisé que j’avais eu peur d’en parler. Je suis fatiguée de repousser le moment de le faire.

A l’heure où les articles sur le burn-out militant des féministes fleurissent, j’ai mis du temps à mettre le doigt sur ce qui me titillait – tant dans le traitement de cette thématique que dans l’homogénéisation des féministes dont parlait la presse. Puis, je me suis dit qu’il y avait certainement un mélange entre mon regard afroféminisme sur la question du burn-out “tout” court, et mon expérience. C’est donc, encore une fois, mon avis, ma lecture, et j’aurais 0 tolérance pour les commentaires déplacés sur ce post (on prend soin de soi pour 2020, t’as vu ?).

Admettre qu’on est en burn-out, en tant que femme noire, c’est savoir qu’on est dans une sorte de guet-apens émotionnel :

  • Être en colère : on le sait avec le trope de l’angry black women, la colère, on n’y a pas droit, car elle invalide la légitimité de nos propos aux yeux du blantriarcat. Peu importe si ces propos sont personnels ou politiques, ils seront déformés et toujours extrapolés par la perception de notre société. Ils n’atteindront jamais – ou alors rarement – leur visée première, c’est-à-dire l’expression de notre mécontentement, de notre déplaisir, voire de notre refus. Pour ne pas en être destitué.e, on doit user de la “voix du téléphone”, celle qu’on utilise pour faire passer notre message tout en modulant nos véritables sentiments.
  • Être en souffrance : il y a cet autre drôle de phénomène, qui est le fait que beaucoup de personnes consomment la souffrance des femmes noires comme un divertissement; comme si on était les personnages d’une épopée qu’on n’a pas demandé, type les douze travaux d’Hercule (ou d’Astérix, you get the point). C’est un type de public qui a été énoncé déjà en filigrane à la sortie de Twelve years a slave, et qui est particulièrement présent sur les réseaux sociaux. Ils compatissent devant notre souffrance le lundi, puis nous envoie un contenu hardcore (sexiste, raciste, etc) le mardi. J’avais déjà abordé la difficulté que nous avions, nous femmes afrodescendantes, à être considérée comme des patient.e.s. Well, ça ne se limite pas aux salles de médecins.
  • Être imperméable à la douleur : je crois que ce point est lié à tous les autres; c’est plus facile pour les gens de nous percevoir comme des femmes “fortes”, “invincibles”, “tenaces”; de prendre pour acquis que nous sommes imperméables à la douleur, pour mieux se désengager face à nos fragilités et nos vulnérabilités multiples. Ça évite de fournir ou de rendre le travail émotionnel que les femmes sont amenesé à produire de manière systémique : au travail, dans le foyer, avec l’entourage, dans les milieux militants, etc. J’aimerais sincèrement que tout ce soit infondé. Vraiment. Mais aujourd’hui encore, une femme noire est morte à cause d’une négligence médicale. Une activiste et mannequin anglaise. Elle s’appelait Mama Cax. Amputée à l’âge de 16 ans, elle en avait 30 aujourd’hui et s’était plainte à un docteur des douleurs qu’elle ressentait. On lui a dit qu’elle avait une légère inflammation et on l’a renvoyé chez elle. Elle est morte à cause de caillots de sang formés au niveau de son buste, de son abdomen… et de ses jambes. Si même nos douleurs physiques passent inaperçues, quelles raisons avons-nous de penser qu’il n’en sera pas de même pour notre santé mentale ?

Dès lors, verbaliser le burn-out (ou d’autres formes de dépressions), c’est admettre que pour être entendue et prise en charge, tant sur le plan médical que dans notre entourage, il va falloir déployer des efforts de négociation. Est-ce que je dois absolument pleurer devant les soignants pour montrer que j’ai vraiment mal et qu’ils ne me laissent pas partir ? Est-ce que je dois amoindrir ma colère ? faire l’impasse sur les micro-agressions ? Tester plusieurs psy, susceptibles de dire la phrase sexiste/raciste/classiste, qui va me faire regretter d’avoir payé une séance ? Est-ce que je peux dire à X ou Y que je ne vais vraiment pas bien ? Comment puis-je répartir mon besoin d’écoute sans peser sur mon entourage ? Je ne devrais pas les déranger avec ça, il y a plus grave, non ? Et la thune, dans tout ça ? Et le boulot ? Et puis, au fond, est-ce que ça va SI MAL que ça ? C’est un petit florilège des questions qui se sont posées à moi, et que j’ai repoussé à coup de déni. J’ai déployé des stratégies pour me gérer seule; prendre l’aide et le soutien de sistah qui pouvaient m’en apporter, puis j’ai serré les dents. Ça a marché plusieurs mois, je faisais mon taff et puisais la joie dans mes activités d’autrice et de militante. Puis, un jour, ça a pété.

Ça, c’est le burn-out “tout court” de beaucoup de femmes noires. Le caractère systématique de ces réactions ou de ces réflexions trouvent évidemment racines dans plusieurs choses : la culture et l’industrie du care reposant sur les femmes noires, la culture du “deux fois plus”, mais aussi l’éducation, la classe sociale, etc. Mais je ne suis pas psy, et il existe tout un champs d’étude sur la corrélation entre race, genre et santé mentale. Plusieurs de mes posts abordent le sujet sur ce blog, n’hésitez pas à jeter un oeil.

Et le burn-out militant ?

Je m’étais faite la réflexion, mais je ne sais pas si l’on parlait de burn-out militant quand bon nombres d’afroféministes, comme Ms Dreydful, ont quitté Twitter et la toile en 2012 environ, suite aux harcèlements répétés de la fachosphère, des féministes non-noires et des militants de gauche, en plus des trolls ( l’afroféminisme n’était pas encore hype à l’époque, vous savez). Il y avait certaines féministes racisées aussi qui ont préféré faire de même. On les a vus partir, et c’est tout. Personne – à part nous – ne s’est soucié de savoir pourquoi, ni dans quel état elles étaient et pourquoi elles ont disparu.

Perso, je n’en suis pas là – du moins, pas encore, je touche du bois. Mais je suis consciente que, sur le long terme, s’il y a une chose qui pourrait me faire tout arrêter; c’est bien le souci de préserver ma santé mentale. Et là où certain.e.s pensent que la visibilité de mes activités est une formidaaaable armure, c’est encore une vision erronée de ma réalité. La configuration change, mais pas le système dans lequel elle s’inscrit.

She knoooows

Je ne dis pas que la conversation autour du burn-out militant ne devrait pas avoir lieu, je note juste qu’elle est tronquée et qu’on retrouve les mêmes ramifications quand ce sujet est traité publiquement. Il y a des récits d’activistes racisé.e.s, queer, précaires, handi, etc, ont toujours existé; on ne les a juste pas écoutés. Je crois que c’est pour ça qu’il était important pour moi d’en parler, même si retardais l’occasion.

Néanmoins, mon engagement politique fait partie des choses qui m’ont fait tenir : il m’a permis de “voir ce qui se passait” et d’analyser différents événements, même si je n’avais pas toujours la force de protester ou d’en parler. Il ne m’a pas fait tomber dans une productivité militante/artistique excessive(qui aurait été tout aussi nocive), il m’a juste servi de soupape. Le reste fut beaucoup d’aides extérieurs, et de lectures. Et dans les moments où je m’interroge sur la portée de ce que je fais, je fais un petit exercice.

Aide, sers et touche.

Sur une feuille blanche, je note 3 critères : aider les gens, servir les gens et toucher les gens ( par “aider”je vise les projets qui vont apporter quelque chose, et par “servir”, ce que les gens vont retirer comme outils concrets. C’est une légère nuance, mais ça m’aide beaucoup à faire une carte de mes objectifs). Je fais ensuite une colonne pour chacune de mes projets et je crois s’ils recoupent les trois critères. Si ledit projet n’a qu’un critère sur trois, soit je le passe à la trappe, soit je vois comment l’améliorer avec l’énergie que j’ai pour sa gestion. Cet exercice me permet de faire le point sur ce que j’entreprends et la cohérence de chaque sentier. C’est juste un exemple d’exercices qui fait office de rituel quand je pars dans des remises en question existentielles pour rester sur les rails.

Demander de l’aide : par où commencer ?

Burn-out militant ou non, à toi, sis, qui te retrouve peut-être dans cette situation : c’est possible de s’en sortir. Il n’y a aucun mal, aucune honte à demander de l’aide. Ni à se reposer, ni à être fatiguée, ni à ne rien faire. Quand je vois les news sur ce qui est arrivé aux employé.e.s de Bouygues Télécom, je dois le dire : c’est très facile d’arriver à bout. Encore plus avec la précarisation de notre société, de nos retraites, et j’en passe. S’il n’y avait pas eu mes proches, mes sistah proches, mon médecin traitant, et le soutien de ma communauté; je ne sais pas comment c’aurait fini. Bref, il y a de l’espoir ! 🙂

Quelques pistes

Des collectifs de personnes racisées et/ou d’afrodescendants se sont mobilisés sur ces questions : il y a les collectifs Perspective et Globule noire, notamment, (vous pouvez également aider ces initiatives bénévoles en faisant des dons, il me semble). Ces derniers peuvent vous rediriger vers des sources ou spécialistes.

Il y a également des podcasts comme Therapy for black girls (je ne connais pas d’équivalents français, mais ça ne veut pas dire qu’il n’y en a pas !)

Il y a une conférence qui se tiendra spécifiquement sur La santé mentale des femmes noires, le 10 janvier 2020 à Paris.

Prendre contact

Parce qu’il n’est pas facile de trouver les mots, NkaliWorks a proposé ce mail type pour sauter le pas si vous souhaitez contacter un psy :

NkaliWorks a aussi la possibilité de vous rediriger vers une aide juridique, si besoin.

Accepter que ce soit long

C’est un long processus, par lequel on passe du déni, à la culpabilité de ne pas aller bien (pour les autres, pour le taff, pour les conventions, pour la lutte militante…et pour soi) ; en passant par de la colère, des hauts et des bas. Et toujours, ce sentiment d’injustice à la racine où l’on se demande “comment j’en suis arrivée là ?”. Tout ce qu’il faut savoir c’est qu’un burn-out, on y arrive pas tout seul. Si ça peut vous rassurer, même connaitre les causes et les identifier ne rend pas ce parcours plus facile. Mais ça s’améliore. Vraiment. Bonne chance à toi.

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2 thoughts on “Burn-out et femmes noires; une lutte pour être entendue

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