Il y a des ghost writers, mais vous préférez les nègres.

 Ceci est un coup de gueule. Et  si je ne parle ici qu’au nom des femmes noires, et précisément celles de mon entourage, je me doute que d’autres s’y reconnaîtront, malheureusement.

 

Si beaucoup questionnent l’importance de ce qui est dit sur le net, trop oublient que cet espace est parfois le seul dont nous bénéficions, en tant que femme noire ou racisée pour nous exprimer, ou encore comme “issue des minorités”. Ainsi, depuis maintenant plus d’un an, je vois les blogs de femmes noires se multiplier – pour ma plus grande joie-, pendant que les blogs précurseurs ferment ou sont laissés à l’abandon. Et quand je demande à certaines de leurs auteures “pourquoi ?”, la seconde réponse qui survient (après l’harcèlement ou les risques pro’ que cela suppose), c’est le plagiat.

Avant de poursuivre votre lecture, je tiens à dire que cet article s’émancipe de toute politique de respectabilité, et qu’il se peut que vous trébuchiez sur des phrases un peu… Bref.

Le plagiat est la plaie de la propriété intellectuelle, particlulièrement parce qu’il est difficile à dénoncer, et ceux qui plagient le savent pertinemment, d’où mon mépris le plus simple quand ses pratiquants choisissent de s’approprier les idées d’autrui plutôt que de mettre un lien, ou de citer leurs sources. Utiliser une telle faille, c’est choisir le meilleur vecteur pour exploiter un contenu qui n’est pas le nôtre.

Or, force est de constater que nous sommes assez légitimes ou intéressantes pour être pompées, mais pas pour être citées. Nous sommes assez “intéressant.e.s”, nous vous donnons “un autre point de vue”, nous avons droit à vos remerciements “car vous n’aviez pas conscience de tout ça”, mais ça ne vaut pas d’être citée. Non, ça ne vaut pas qu’on respecte nos idées, ça leur vaut plutôt un transfert dans vos papiers parce que vous êtes si inspirés.

Les blogs ne sont pas considérées comme de “vraies” références pour certains, mais ils font le travail de sourcer – la plupart du temps – leurs productions, car nous savons déjà à qui nous nous adressons, nous savons déjà que l’on doit prouver, se justifier, si possible avec des sources “valables” parce que, autrement, nos voix ne valent pas d’être écoutées. Mais avec les nègres, le niveau est plus haut : même devant un contenu sourcé, qui a demandé du travail derrière, vous y lisez “servez-vous”.

La préservation de nos contenus est un combat constant. On ne cesse de rappeler que ces productions luttent contre un effacement et une omission de nos paroles et de nos existences. On essaie tant bien que mal de combler le vide et les versions dominantes de nos histoires, mais il est tellement facile de se servir et de passer pour, au choix, le journaliste progressiste ou l’allié.e idéal.e. Et quand certain.e.s de nous pensent qu’ils ont assez de visibilité pour qu’on daigne les respecter – puisqu’on sait très bien que plus un site est connu, plus le plagiat sera visible et moins insidieux à dissimuler; on retrouve malgré tout des articles sur la Blanchité quelques mois plus tard, qui ne citeront jamais une femme noire comme Amandine Gay qui, quelques mois auparavant, se prenait des commentaires racistes et misogynes pour avoir dénoncé ces thématiques, et dont l’article avait énormément tourné.

A ceux qui diront que “l’important, c’est que le message passe” : non. Je ne suis pas en faveur d’une exploitation, quelle que soit sa forme, sous prétexte que “le message passera et sera accessible au plus grand nombre”. Je ne souhaite pas participer à cette hypocrisie alors qu’il y a visiblement un commerce de la pensée qui nous amènera demain le prochain expert de la Noirie sur France 2, en mode “et si on en parlait ?”. Je refuse de voir en tête de gondole ou en première page les prétendu.e.s progressistes qui ont leur chèque à la fin du mois grâce au travail  de femmes noires qui ne savent comment elles vont payer leur loyer à la fin du mois, et dont la parole est quasiment invisible de l’espace publique. Les mots sont importants, les voix sont politiques et ont des conséquences. C’est en voulant ignorer une certaine histoire, un certain discours, malgré les textes de Cheik Anta Diop – pour les plus académiques – et les raps de Kerry James, qu’on peut entendre en prime time à la télévision “L’homme africain n’est pas assez rentré dans l’Histoire”, en toute souplesse. C’est en voulant ignorer une certaine histoire qu’on en dessine une fresque faussée.

Nous n’avons pas prétention de faire l’histoire, nous cherchons juste, désespérément, à en faire partie et ce, en nos propres termes.

En pompant soigneusement nos contenus, vous participez à ces omissions. Vous choisissez de les rendre visibles avec vos noms; vous souscrivez nos contenus pour asseoir votre légitimité. Pas la nôtre, pas “pour nous”. Comme si ce n’était pas assez difficile d’expliquer que les voix des concerné.e.s ne sont jamais entendues, toujours racontées, toujours stéréotypées.

Naïve comme je suis, je pensais que c’était facile de mettre un lien. Naïve comme je suis, je pensais que les mêmes prétendu.e.s allié.e.s, militants ou non, journalistes ou non, féministes ou non, qui disent “avoir teeellement appris”,  et qui ne se gênent pour se réapproprier des articles, jusqu’aux conversations que certain.e.s peuvent avoir sur les réseaux sociaux, je pensais donc qu’ils avaient une certaine décence. Est-ce si difficile de dire “Un.e tel.le et un.e tel.le parlaient ce matin de ces sujets”? Ou même de leur demander de les citer ?

Ainsi, on verra les gens un peu gêné qui préfèreront dire “ghost writers”, mais jamais ça ne vous empêchera de nous traiter comme des nègres.

Nous ne sommes pas vos nègres. Nous ne sommes pas payées pour l’être. Et, comme dirait Aimé Césaire, “les nègres vous emmerdent”.

 

If you're going to hold someone down you're