Red in Blue Trilogie : Léonora Miano réexplore la Négritude

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Woy, voilà un moment que j’ai fini le dernier livre de Léonora Miano, mais je n’avais pas eu le temps de me poser pour écrire. Et pourtant, ce livre le mérite. Je n’ai pas (encore) lu La saison de l’ombre qui lui a valu le Prix Fémina l’année dernière, mais cette nouvelle plongée dans les thématiques de l’esclavage était rafraîchissante, car, de tout ce que j’ai lu sur le sujet – essai et fiction confondus – je n’ai jamais vu l’esclavage abordé de cette manière.

“Red in Blue Trilogie”, c’est un recueil de trois pièces de théâtre. Déstabilisant au début, celle que l’on connaît pour sa prose poétique s’est essayée au théâtre, un peu plus académique. Disons qu’il est plus facile d’être portée par une introduction qui nous plonge dans l’histoire, que de se heurter à des didascalies ! M’enfin, je crois que c’est la forme littéraire choisie qui a rendu difficile la lecture, un peu plus chaotique. Côté contenu : une merveille !

La première pièce nous plonge dans la mythologie africaine, où chaque nom de déesse et dieu a une signification. Ici, les Âmes à naître refusent de descendre sur terre pour que la prochaine génération soit enfantée, après avoir vu le massacre et la déportation des esclaves. Celles-ci n’accepteront de prendre vie que si Inye, déesse Mère, accepte d’entendre leurs plaintes et de tenir un procès. S’en suit alors un procès de tous les fautifs : rois corrompus ayant cautionné la traite avec des rois européens, religieuses et sorcières ayant abusé des femmes de leur village, etc. Qui ment ? Qui dit la vérité ? A travers ce huit-clos mythologique, Miano m’a vraiment conquise en abordant ce sujet tabou : argument favori utilisé par des personnes blanches pour mieux dédouaner l’Europe, la participation de certains individus ne doit pas échapper à la réflexion sur l’esclavage et sa commémoration, et surtout explore ce qu’on ne dit pas sur les conditions de ces fautifs faciles.

Seconde pièce, on rejoint les Neg marrons de la Jamaïque, tiraillés entre faire la guerre aux esclavagistes blancs pour délivrer ceux restés dans les plantations et vivre libre dans les montagnes , ou vivre en paix avec ces esclavagistes en renonçant à aller chercher les siens… C’était une histoire émouvante, remettant en cause notamment la fraternité qui, dans une situation de lutte, peut être soumise à de nombreux dilemmes.

Enfin, celle que j’ai aimé le moins peut-être, et qui pourtant parlera à plus d’un : une jeune femme part au Cameroun avec le corps de son frère défunt, espérant pouvoir le faire enterrer dans le village dont ils sont originaires. Mais le village paisible où va se jouer une longue confrontation avec les habitants, va être l’occasion également de relever toutes les interrogations d’un “là-bas”, ce “chez soi” dont on ne connaît rien, ou peu, quand on naît en Europe. Le “retour au pays premier”, aux origines, est-il aussi évident pour les africains, qu’il ne l’est pour les afrodescendants ?

Pour moi, Léonora Miano signe encore une oeuvre essentielle et contemporaine, en tant qu’elle touche aux interrogations d’afrodescendants dont on questionne la légitimité, ici comme là-bas. Cet “entre-deux”, qui a commencé entre deux rives, s’étend entre les générations, et il est important de l’interroger.

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